Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 113.djvu/788

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en 1888, l’enquête officieuse que nous venons de résumer, à en juger par la presque unanimité avec laquelle l’opinion publique se prononça alors en faveur d’une révision, sur ce point, de la loi constitutionnelle, on eût pu croire qu’avant peu ce serait chose faite et que, dès l’ouverture du congrès, la question se poserait officiellement. Il n’en a rien été et il n’en pouvait rien être. Au lendemain d’une élection chaudement contestée, le pays était las de controverses politiques ; il n’avait qu’un désir : respirer et se remettre à ses affaires ; qu’un souci : ajourner à des temps plus calmes une discussion sans résultat pratique immédiat.

Le débat n’est toutefois qu’ajourné ; dès le 9 novembre 1892, on entendra les mêmes plaintes et les mêmes récriminations, plus vives et plus urgentes peut-être qu’en novembre 1888. Tôt ou tard il faudra bien s’y rendre et en aborder l’examen. Si propre à agir sur les imaginations que puisse être, dans un pays commerçant comme les États-Unis, l’argument tiré des pertes infligées à l’industrie nationale et du chiffre même de ces pertes, il ne sera pas le seul qui décidera, l’heure venue, de la modification à introduire dans la constitution. Le patriotisme inquiet fera, lui aussi, entendre sa voix. Si les opinions diffèrent en effet sur l’extension de durée des pouvoirs présidentiels, si les uns, avec Chauncey M. Depew, Dillon et Sage, recommandent six années, si les autres, avec Gould, Sloane, Brown, se déclarent en faveur de huit, il est cependant un point sur lequel tout le monde est d’accord et qui, dans l’opinion de tous, l’emporte encore sur les considérations d’ordre purement pécuniaire : c’est la nécessité d’arrêter le recrutement d’abord, puis de hâter le licenciement de l’innombrable armée des politiciens. Ils encombrent les avenues du pouvoir, ils introduisent dans les élections, qui devraient être œuvre de citoyens, un ferment de corruption qui démoralise les masses et qui écarte des fonctions publiques les plus dignes de les briguer, les plus capables de les remplir.

Si l’opinion évolue, depuis plusieurs années, dans un sens nouveau, si, par ses agens attitrés : la presse, la brochure, le livre et la parole, elle réclame un gouvernement fort, si elle met en suspicion le suffrage populaire et tient ses verdicts en médiocre estime, la faute en est aux politiciens. Ils faussent le rouage principal, celui qui met en mouvement la machine gouvernementale. Ils constituent, à l’heure actuelle, l’un des deux grands dangers qui menacent la république.

L’autre, nous l’avons signalé plus haut et aussi plus d’une fois ici[1], c’est l’accumulation de capitaux énormes dans un petit

  1. Voyez la Revue des 15 juin, 1er septembre, 1er novembre et 15 décembre 1888.