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d’une tâche onéreuse autant qu’ingrate. Il est sans exemple, en effet, que le président d’un comité central ait jamais été appelé à figurer dans le haut personnel gouvernemental de son parti, en cas de succès. La tradition veut qu’il soit exclu de tout emploi ; il le sait et n’en brigue aucun. Si encore la position qu’il occupe offrait quelques compensations de vanité ou lui valait quelques témoignages de gratitude pour son dévoûment ! Mais il n’en est rien. Il est, par cette position même, en butte aux récriminations des uns, aux objurgations des autres, aux critiques de tous. En cas d’insuccès, il est le bouc émissaire, celui que l’on blâme et que l’on charge des fautes communes. En cas de réussite, on l’écarte, on l’ignore, et pendant que les vainqueurs se partagent le butin, il additionne mélancoliquement devant une caisse vide les comptes qu’il lui reste à solder. Son rôle n’a qu’un jour, sans lendemain.

Populaire, il ne l’est pas ; il n’a que de la notoriété. Durant les quelques semaines de son exercice, il mène une vie peu enviable, relancé du matin au soir par tous ceux, et ils sont nombreux, qui aspirent à émarger au budget dont il dispose. Si habile qu’il soit à se dérober, il ne peut se refuser aux entrevues avec les hommes marquans du parti qui lui prodiguent des avis dont il n’a souvent que faire, et lui recommandent, quand ils ne les lui imposent pas, des agens souvent incapables. Il se décharge sur ses collègues du comité et sur son secrétaire des importuns, mais c’est au risque de grossir la liste des mécontens.

Par le fait même de ses attributions, le président d’un comité central fut longtemps un homme politique ; il l’est encore, mais il tend de plus en plus à devenir l’administrateur et le financier du parti. Il personnifie un facteur nouveau dans la vie publique : les capitalistes, dont l’intervention active dans les élections s’accentue. Aussi les chiffres que nous donnons plus haut, et qui sont empruntés aux comptes-rendus indiscrètement divulgués des comités centraux et des comités d’États, ne comprennent-ils pas l’intégralité du montant dépensé en faveur de l’un ou de l’autre candidat. Les 15 millions mis en ligne représentent les sommes versées aux comités et déboursées par eux, mais il est bien difficile d’évaluer celles que, sur tel ou tel point, dans tel ou tel État, des particuliers colossalement riches ou des organisations puissantes peuvent dépenser pour assurer le succès d’un candidat protectionniste ou anti-protectionniste, dont l’élection serait de nature à déterminer une orientation nouvelle de la politique financière, à amener une modification des droits de douane, des patentes et des taxes intérieures. Si, jusqu’ici, cet appoint n’a joué qu’un rôle secondaire dans les élections présidentielles antérieures, de nombreux indices