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subordonné au choix du candidat par la convention. Sa personnalité et sa popularité sont, jusque-là, des facteurs inconnus et, selon ces facteurs, les moyens d’action diffèrent et aussi la désignation de ceux appelés à les mettre en œuvre. Suivant que les suffrages de la convention se portent sur un personnage en vue, et c’est ici le cas pour les deux candidats, ou sur un homme peu marquant, un dark horse, un « cheval noir, » comme on qualifie les individualités à peu près ignorées des masses, telles que le furent, à leur heure, Abraham Lincoln, Hayes ou Garfield, le plan de campagne varie, défensif ou agressif, panégyrique du chef du parti et des principes qu’il représente, ou dirigé contre le candidat adverse, s’attaquant à sa vie privée, à son passé, à son entourage, au programme qu’il accepte ; souvent il est l’un et l’autre. Une campagne présidentielle est une guerre au couteau et sans merci ; tant qu’elle dure, il semble qu’on puisse tout dire, le vrai comme le faux, et on ne s’en fait pas faute. « Achetez, clamait un camelot dans les rues de New-York, achetez l’extra du Morning Star, contenant la révélation d’un acte d’indélicatesse commis par le candidat du parti démocratique à la présidence. » On achetait, et l’acte d’indélicatesse, bruyamment dénoncé à la vindicte publique, se bornait à un délit puéril commis à l’âge de dix ans. On précisait le jour, l’heure, le lieu, le tout dûment certifié et attesté par la bonne de l’enfant. On en riait, mais il n’en va pas toujours ainsi, et la presse adverse n’a pas épargné à M. James Blaine les plus cruels commentaires sur la mort de son fils et le procès dont le menaçait sa belle-fille, non plus qu’elle n’a hésité, contre toute évidence et toute vérité, à diriger, lors de la dernière campagne, les plus odieuses calomnies contre M. Cleveland, l’accusant de maltraiter sa femme, pour laquelle il professait un culte.

Ce sont là les côtés venimeux et malpropres de la lutte ; ce ne sont ni les moins usités ni les moins efficaces. Pour manier ces armes empoisonnées, il faut un personnel spécial ; il en faut un autre pour combattre, sur le terrain des principes, sur celui des questions à l’ordre du jour et des solutions que proposent les partis en présence ; un autre aussi pour les allocutions populaires, pour recruter et stimuler les partisans ; un autre, plus discret, pour les négociations délicates, pour les promesses d’emplois, de grosses et de petites places ; un autre enfin pour surveiller les agissemens du parti adverse et contrôler ses propres agens. Pendant quatre mois, dans les 44 États de l’Union, dans les 2,241 districts qu’ils renferment, cette machine fonctionne, chauffée à haute pression. Dans chacun de ces États, siègent un comité démocrate et un comité républicain, lesquels surveillent et dirigent les sous-comités