les vers, déchirer une passion en lambeaux, lancer comme Beaubourg des éclats, même sur les conjonctions, et rester presque toujours hors de la nature, chanter la tragédie au lieu de la parler, ces erremens semblaient le sublime du genre. Louis Racine trouva parmi les papiers de son père les rôles de la Champmeslé notés, mis en musique ; et Mlle Duclos, maîtresse de la scène française, héritière de ces partitions, exagérait de plus en plus la mélopée ; du moins ses larmes étaient belles, sa douleur touchante, sa figure vraiment tragique, elle pleurait à tort et à travers, mais enfin elle pleurait, c’en était assez pour émouvoir le spectateur, et elle conserva de nombreux partisans. Adrienne se présente, introduit la déclamation simple et noble, également éloignée de la trivialité et de l’emphase. Elle possède les grands ressorts du cœur humain, la terreur et la pitié : une voix un peu voilée, mais tendre, pathétique, susceptible des inflexions les plus fines, l’art de varier les tons à l’infini, la science des gradations, un visage, des yeux, des attitudes qui semblaient faire la gamme à volonté, l’art des scènes muettes, des silences poignans, une mimique plus éloquente peut-être encore que sa parole, de tels dons la mirent bientôt hors de pair. C’est une reine parmi des comédiens, disait-on, et le spectateur voyait véritablement en elle une princesse qui jouait la tragédie pour son plaisir ; il croyait, en l’écoutant, faire une découverte dans son propre cœur, confirmait son triomphe par l’admiration et l’amour-propre également satisfaits : ce n’était plus Adrienne, mais Élisabeth, Bérénice, Électre, Pauline, Roxane, Athalie, Phèdre, avec leurs jalousies, leurs crimes, leurs dévoûmens héroïques.
Voltaire qui conserva toujours le goût de la diction ampoulée (on sait ses apostrophes aux acteurs coupables de jouer trop simplement selon lui)[1], n’aurait pu être ici un guide utile : la nature, l’amour, une étude approfondie, firent ce miracle, peut-être aussi les conseils vigilans de Dumarsais, le La Fontaine des philosophes, un sage obscur, au goût impeccable, à l’âme forte et fière,
- ↑ Plus tard, Napoléon donnait cette leçon de simplicité à Talma : « Vous venez souvent le matin chez moi. Qu’y voyez-vous ? Ce sont des princesses à qui on a ravi leur amant, des princes qui ont perdu leurs États. Il y a autour de moi des ambitions déçues, des rivalités ardentes, des catastrophes, des douleurs cachées au fond du cœur, des afflictions qui éclatent au dehors. Certes, voilà bien la tragédie, mon palais en est plein ; et moi-même je suis assurément le plus tragique des personnages du temps. Eh bien ! nous voyez-vous lever les bras en l’air, étudier nos gestes, prendre des attitudes, affecter des airs de grandeur ? Nous entendez-vous pousser des cris ? Non sans doute ; nous parlons naturellement, comme chacun par le quand il est inspiré par une passion. Ainsi faisaient avant moi les personnages qui ont occupé la scène du monde et joué aussi des tragédies sur le trône : voilà des exemples à méditer. »