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maintenant, comme bien d’autres pays, a sa question du suffrage universel ; elle entre tout au moins dans la voie des réformes politiques, de l’extension du droit électoral. Le ministère de La Haye, en ouvrant ces jours passés les états-généraux, a annoncé des projets libéraux, et même avant l’ouverture des états-généraux, à la veille de la session, des meetings radicaux, socialistes, se sont réunis à Amsterdam, à La Haye, réclamant bruyamment le suffrage universel. Partout, c’est la grande question de droit populaire qui se débat, qui devra nécessairement être tranchée en Hollande, dans la pacifique Hollande, avant les élections nouvelles des états-généraux. Et voici à son tour l’Espagne qui, en pleine paix des vacances, sous le règne du ministère conservateur, vient d’avoir ses petites agitations, ses luttes intérieures pour les élections des députations provinciales, qui sont l’équivalent de nos conseils-généraux. L’Espagne n’a plus à conquérir le suffrage universel, elle l’a conquis ou retrouvé depuis quelques années ; la difficulté est aujourd’hui de le pratiquer, sans qu’il soit une dérision ou un péril. La difficulté est, il est vrai, pour tous les pays.

Ce que le suffrage universel sera dans les diverses régions de l’Europe où il pénètre par degrés, ce qu’il produira particulièrement en Espagne, pays vieux de traditions, mais profondément remué par les révolutions, on ne peut certes le prévoir ; c’est l’inconnu partout, surtout au-delà des Pyrénées. C’est le ministère libéral de M. Sagasta qui a eu l’idée, il y a quelques années, de rétablir le suffrage universel en Espagne, qui a réussi à le faire voter par son parlement, et il tombait sur le coup. C’est le ministère conservateur de M. Canovas del Castillo qui a été chargé de présider à la première application du nouveau régime par une élection des Cortès, et le premier vote était déjà tout en faveur de sa politique conservatrice. Aujourd’hui c’est l’élection des conseils provinciaux qui vient de se faire, et l’avantage reste encore aux conservateurs. Le ministre de l’intérieur, M. Villaverde, a conduit sa campagne en homme actif et adroit qui connaît la vertu de la pression administrative ; il a réussi à s’assurer près de 600 élections favorables, une immense majorité dans les provinces, même une majorité relative à Madrid. Il a eu son succès sans trouble apparent, presque sans dérangement dans la vie ordinaire, pendant que la plupart de ses collègues étaient dispersés dans leurs villégiatures et que la reine-régente elle-même se reposait à Saint-Sébastien, aux bords de la mer Cantabrique. Ce n’est pas que la victoire n’ait été vivement disputée. Les républicains se sont jetés dans la mêlée ; mais les républicains sont divisés, M. Salmeron est loin d’être d’accord avec M. Ruiz Zorrilla. Les libéraux fusionnistes, ralliés par M. Sagasta, auraient pu être des adversaires plus redoutables ; mais ils gardent une certaine réserve, et M. Sagasta, tout en attaquant la politique ministérielle, tient à rester dans la stricte légalité dynastique, à ne point ébranler la régence ;