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a paru rompre avec les traditions de violence et se dégager de ses origines orageuses pour prendre une figure nouvelle, pour devenir un régime régulier, coordonné, comme tous les régimes qui veulent vivre ; c’est parce qu’avec bien des faiblesses et des complicités qui pèsent encore sur elle du poids de tout le passé, elle a réussi à rester à peu près un gouvernement, à se défendre des agitations intérieures et des propagandes provocatrices, parce qu’elle a eu la fortune de voir, sous son nom, la France reprendre position, retrouver des finances, une armée, l’estime du monde, non pas avec les républicains seuls, mais avec le concours de toutes les bonnes volontés ; c’est parce que ceux qui la représentent ne font pas toujours tout ce qu’on leur demande et s’efforcent de mesurer, leurs actions comme leur langage. En d’autres termes, si la république nouvelle existe, c’est précisément parce qu’elle est à peu près le contraire de la république du 22 septembre 1792 ! Si elle est encore exposée aux crises et aux périls, c’est qu’elle céderait à ceux qui voudraient la ramener aux carrières sanglantes ou l’entraîner dans de nouvelles aventures d’anarchie, c’est qu’elle répondrait aux vœux de conciliation et d’apaisement qui sont partout, aux adhésions qui se multiplient par la défiance et les passions de secte. Si elle a la chance de durer et de vivre, c’est qu’elle aura su profiter de l’expérience d’un siècle et se pacifier elle-même, c’est qu’elle aura fait son choix entre les deux politiques qui sont toujours devant elle : la politique radicale qui s’efforce encore de la dominer, de l’entraîner à de nouveaux excès, et une politique de libérale et forte prévoyance garantissant le pays dans ses intérêts comme dans sa vie morale. En un mot, la république sera-t-elle une institution flexible progressant avec le temps, adaptée aux mœurs, aux instincts d’une grande et libérale société si prodigieusement transformée depuis cent ans ? En reviendra-t-elle à se figer dans le culte des violences révolutionnaires, pour finir encore une fois comme elle a invariablement fini, emportée un jour ou l’autre par quelque réaction de l’opinion déçue et dégoûtée ? Tout est là.

C’est l’éternelle et décisive question. Elle renaît sans cesse ; elle se reproduit sous toutes les formes, tantôt à propos de ce centenaire, qui n’a été qu’une concession à des passions surannées, tantôt à propos de ces grèves, de ces agitations ouvrières où les problèmes sérieux, pratiques du travail disparaissent sous l’invasion croissante d’un socialisme tout révolutionnaire. Elle reparaît partout, dans les actes, dans les discours, elle pèse sur le gouvernement, sur les pouvoirs publics, sur l’opinion. C’est une justice à rendre à M. le président de la république : il ne se laisse pas facilement entraîner ni détourner de son rôle. Il se fait un devoir de rester au milieu de toutes les contradictions le premier magistrat, impuissant peut-être, mais toujours