Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 113.djvu/715

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

concours qu’il a prêté récemment à la célébration du centième anniversaire de la république, est après tout un suffisant logicien.

Quelle étrange idée ont les républicains de remuer sans cesse tous ces souvenirs, et, par une sorte de fétichisme étroit, de tenir à plier l’histoire à une passion de secte, de vouloir à tout prix se rattacher à une date effacée par tant d’autres dates ! Curieuse ironie des choses ! ils se croient peut-être de grands et hardis novateurs ; ils ne font qu’imiter à leur manière le bon roi Louis XVIII qui, à son retour en 1814 et 1815, se plaisait à dater ses ordonnances de la « dix-neuvième année de son règne, » comme si rien ne s’était passé dans l’intervalle. Les républicains d’aujourd’hui semblent en être toujours là ; ils tiennent à compter du jour de la fondation première de la république, le 22 septembre 1792, comme le roi Louis XVIII datait de la dix-neuvième année de son règne, en dépit des décrets de la Convention et de l’Empire. Lorsque les Américains, en gens plus sérieux, célèbrent le centenaire de leur émancipation et de leur indépendance, ils ne sont pas les dupes de la superstition d’une date ; ils fêtent, eux, une réalité vivante, ininterrompue, incorporée dans la vie populaire. Qu’est-ce que ce centenaire français qui vient d’être célébré comme une fête nationale ? Ce n’est qu’un mot, une puérilité de l’esprit de parti, un essai de vaine commémoration d’un règne sans durée. Par le fait, dans l’espace d’un siècle, depuis le 22 septembre 1792, la France a vécu le plus souvent sous des monarchies diverses, quinze ans sous le premier empire réellement commencé avec le consulat, quinze ans sous la monarchie bourbonienne restaurée, dix-huit ans sous la monarchie de juillet, dix-huit ans sous le second empire. La république a régné à peine un quart de siècle, par intervalles, comme un régime né de troubles publics, précaire et contesté, périodiquement désavoué ou détesté par la France. Elle a toujours péri jusqu’ici par ses excès ou par ses fautes, parce qu’elle a été un parti ou une secte prétendant imposer ses fanatismes, parce qu’elle se rattachait à ces traditions de domination arrogante et d’agitation stérile qui sont sa vieille faiblesse devant le pays. Et si depuis quelques années elle a semblé devenir un régime moins incertain, plus facilement accepté, si elle s’est acclimatée et si elle entre dans les mœurs, ce n’est point certes parce qu’elle est tout ce qu’on dit aujourd’hui, parce que la France se serait décidée tout à coup à faire amende honorable de trois quarts de siècle de son histoire contemporaine devant cette date du 22 septembre 1792 ; ce n’est point, on peut le croire, parce que la raison française se serait soudainement réconciliée avec les souvenirs lugubres, avec les tyrannies et les utopies que la république a longtemps traînés avec elle.

Non sûrement ! Il faut rester dans la vérité. Si la république a aujourd’hui un autre destin, c’est justement au contraire parce qu’elle