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curiosité parisienne a fait le reste. Ce n’est point certes la foule qui a manqué sur le passage du char du Triomphe de la République et du char des Volontaires. Oui, sans doute, on a fait ce qu’on a pu. Il n’est pas moins vrai qu’on n’a guère réussi à échauffer sérieusement l’opinion, que tout cela est resté assez froid dans les départemens bien plus encore qu’à Paris. Cette journée du 22 septembre, elle a laissé visiblement la masse française indifférente et sceptique, parce qu’on se lasse de tout, même des fêtes, surtout des fêtes trop prodiguées, parce que celle-ci ne répond à rien de profond et de sincère dans le pays, parce qu’elle ne représente qu’une sorte de superstition ou les plus sinistres souvenirs, ces « longs et terribles déchiremens » dont parlait l’autre jour M. Challemel-Lacour, au Panthéon.

Elle rappelle, dit-on, l’invasion vaincue et repoussée, la France répondant aux coalitions ennemies, aux menaces de démembrement par une explosion de patriotisme, la nation tout entière sous les armes, défendant ses frontières, puis répandant sur l’Europe le feu et l’esprit de la révolution, elle rappelle et Valmy fêté l’autre jour comme l’heureux prologue de la république et les armées du Nord, de la Moselle, de Sambre-et-Meuse, du Rhin, et Hoche et Marceau et Kléber, et la Convention nationale inaugurant l’ère nouvelle, décrétant la victoire en même temps que la naissance orageuse d’un monde nouveau. Oui, certes, elle rappelle tant qu’on voudra une prodigieuse époque, une des plus éclatantes, une des plus terribles révoltes de sentiment national et populaire qui aient ébranlé et étonné l’univers. Elle rappelle aussi ce que rien n’a pu effacer de la mémoire des hommes, — ces tueries de septembre qui l’ont préparée, les forfaits qui l’ont suivie, la terreur érigée en loi, les exécutions en permanence, les femmes immolées, les victimes les plus pures dévouées au bourreau, les chefs de la Révolution eux-mêmes se dévorant entre eux après avoir dévoré tout ce qui restait d’une ancienne et illustre société, la lassitude du crime poussant la France dans les corruptions du Directoire et dans la servitude sous un César. Cette journée du 22 septembre qu’on tient à fêter, elle n’est qu’une des premières de la redoutable et sanglante série ; elle a engendré et préparé toutes ces autres journées après le 21 janvier, — et les 31 mai et les thermidor et les prairial et les vendémiaire et les fructidor, et puis, au bout de tous, les brumaire ! On parle toujours du « bloc, » c’est la théorie nouvelle imaginée pour tout confondre et tout absoudre. Soit, le voilà le « bloc, » c’est entendu, on n’en peut rien distraire, on ne peut séparer ce que la fatalité a fait indissoluble, et c’est pourquoi dans l’enchaînement des catastrophes, qu’on le veuille ou qu’on ne le veuille pas, la terrible logique qui commande aux événemens relie le 18 brumaire au 22 septembre. Le 18 brumaire est aussi du « bloc. » Le prince Victor Napoléon, dans le plaisant