Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 113.djvu/691

Cette page a été validée par deux contributeurs.

encore sur eux leur font l’effet d’une horrible injustice. Ne sont-ils pas nos rois ? Est-il permis de traiter des rois comme des esclaves ? C’est ainsi que la démocratie a engendré le socialisme, et si la démocratie est la décadence, le socialisme est la mort.

Pour ajouter à nos malheurs, il n’y a pas seulement une question sociale, une question ouvrière ; il y a aussi une question des femmes aussi embarrassante, également insoluble. Comme les ouvriers, elles sont mécontentes de leur sort, elles réclament leur émancipation. Jusqu’ici elles s’étaient imaginé que les hommes sont faits pour gagner de l’argent et les femmes pour le dépenser. C’était une erreur innocente. Aujourd’hui elles entendent participer à tous les emplois lucratifs ; elles veulent être commis, agens comptables, avocats, médecins, et elles se promettent que dès demain on leur conférera les droits électoraux, qu’avant peu certaines fonctions publiques leur seront réservées. Les plus modestes se contentent d’exiger qu’on les instruise, qu’on leur donne une éducation plus virile ; elles se sentent de force à apprendre tout ce que nous savons ou ce que nous faisons semblant de savoir. L’animal à l’esprit court et aux longs cheveux consent à raccourcir ses cheveux pourvu qu’on lui permette d’élargir son esprit et d’allonger ses pensées. Cette faiblesse aspire à devenir l’une des forces dirigeantes de la société.

Encore un coup, je ne sais pas ce que les femmes ont fait à M. Nietzsche, mais je soupçonne qu’il mêle un peu d’amour à la haine qu’il leur a vouée, qu’il pourrait dire avec Shakspeare : I love and hate her. Si l’on en jugeait par certains passages de ses livres, on le prendrait pour un misogyne aussi déterminé que le grand pessimiste qui fut son premier maître. « La raison et l’intelligence de l’homme, disait Schopenhauer, n’atteignent guère tout leur développement que vers la vingt-huitième année ; chez la femme, au contraire, la maturité de l’esprit arrive dès la dix-huitième année. Aussi n’a-t-elle toute sa vie qu’une raison de dix-huit ans bien strictement mesurée. » M. Nietzsche en dit à peu près autant. « Le lion, écrivait encore Schopenhauer, a ses dents et ses griffes, l’éléphant, le sanglier ont leurs défenses, le taureau a des cornes, la sèche a son encre, qui lui sert à brouiller l’eau autour d’elle, la nature n’a donné à la femme pour se défendre que la dissimulation. Qui a rencontré une femme absolument véridique et sincère ? » C’est aussi l’opinion de M. Nietzsche. Mais Schopenhauer n’a jamais dit que ces créatures futiles, bornées et perfides fussent incapables de faire la cuisine, et M. Nietzsche soutient que leur cuisine pèche « par un manque absolu de raison, » que ces détestables cuisinières ont longtemps arrêté le développement, compromis les destinées du genre humain par toutes les ratatouilles qu’elles lui ont fait manger.