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Sans vouloir en rien diminuer leur très réelle valeur, il me sera permis de dire que, satisfaits aujourd’hui de ce qu’ils font, comme peuvent l’être de jeunes artistes qui croient volontiers que leurs œuvres sont admirables, ils seront sans doute les premiers plus tard à revenir sur cette opinion, comme le colonel Gerhardt, qui, dans la préface de son Traité des résistances, a écrit : — « Je croyais sincèrement, à ma sortie de Saumur, que l’équitation militaire avait dit son dernier mot. J’étais même convaincu, — et il ne m’en coûte pas de l’avouer ici, car j’avais cela de commun avec plus d’un de mes jeunes camarades, — que, en fait d’équitation du moins, il ne me restait que bien peu de chose à apprendre. Combien j’ai été désabusé depuis, et combien, après tant d’années d’études persévérantes, de recherches obstinées, j’ai aujourd’hui moins bonne opinion de moi ! Appelé très jeune encore aux importantes fonctions de capitaine-instructeur, je ne tardai pas à m’apercevoir de l’insuffisance de mon savoir professionnel, en matière de dressage du cheval surtout. »

Il me semble qu’on accepte de plus en plus à Saumur le laisser-aller, sinon pour le cavalier, du moins pour le cheval ; qu’on en arrive presque à considérer les manèges, — ces vastes et sévères édifices qui contribuent pour une large part à faire de notre École de cavalerie la plus magnifique qui soit au monde, — comme des abris pour promener les chevaux en temps de pluie. J’ai vu une division d’officiers-élèves y monter de jeunes chevaux de remonte sous les yeux de quelques écuyers qui ne leur donnaient aucun conseil, bien que la tenue et les moyens de conduite des cavaliers laissassent beaucoup à désirer et que les chevaux se livrassent à toutes sortes d’incartades. J’ai vu aussi les « Dieux » monter au manège leurs chevaux qui s’en allaient à un petit galop cassé, l’encolure allongée entre les rênes flottantes, faisant tous les trois ou quatre pas une flexion de tête et de mâchoire qui rendait leur allure encore plus monotone. Qu’est devenue cette « gentillesse » du cheval dont parlait La Guérinière ? A-t-on donc oublié, à l’École de cavalerie, que les allures de manège doivent être fières, souples, cadencées ; que, d’après Bohan lui-même, « le cheval de manège doit avoir du feu ? » Le « petit galop de Saumur, » absolument anti-artistique, use les chevaux comme toutes les allures qui ne sont pas justement équilibrées. Si je ne craignais de sortir de mon cadre, je dirais qu’aujourd’hui nos chevaux de cavalerie sont peut-être trop fatigués et que c’est plus encore à cette lassitude qu’au savoir-faire des cavaliers qu’il faut attribuer la docilité avec laquelle on leur voit exécuter le saut des haies. Avant la guerre de 1870, on les ménageait trop ; ils étaient trop gras et manquaient d’exercice ; depuis, on est tombé, je crois, d’un excès dans un autre, et,