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depuis longtemps si négligé en France, surtout par les écrivains et les savans, que l’on ne trouve, ni dans les guides usuels, ni dans les dictionnaires, ni dans les traités d’histoire, aucun renseignement sur les plus grands maîtres qui ont illustré notre pays. Alors que tant de statues s’élèvent sur nos places publiques, les noms mêmes de nos plus célèbres écuyers, à peine connus d’un très petit nombre de fervens admirateurs, sont complètement ignorés, non-seulement du public, mais encore de ceux qui ont mission de l’instruire ; on laisse cela de côté avec une sorte de mépris et l’on ne semble pas se douter que l’équitation est, parmi les arts, un des plus utiles, des plus attrayans, un de ceux aussi qui nécessitent le plus d’étude et qui forment le mieux l’esprit et le jugement.

Dès que l’équitation, au lieu d’être pratiquée empiriquement en plein air, fut enseignée dans les manèges par de vrais maîtres, elle fit d’immenses progrès et, en très peu d’années, atteignit le degré de perfection où sut l’élever La Guérinière. Il se fonda bientôt un grand nombre d’académies ; mais celles de Paris et de Versailles eurent toujours le pas sur toutes les autres, et c’est à elles que revient l’honneur d’avoir produit les premières et les meilleures méthodes.

Salomon de La Broue, écuyer du roi, écrivit en 1610 le premier traité d’équitation qu’on eût vu en France : le Cavalerice françois. Cet ouvrage, qui se ressent encore des anciennes pratiques, est rempli des préceptes les plus barbares et préconise des moyens d’une brutalité révoltante ; toutefois il révèle un effort vers le progrès, vers un enseignement méthodique s’appuyant sur les connaissances scientifiques de l’époque, et l’on y trouve des passages excellens, comme celui où l’auteur recommande de ne pas renfermer le cheval, c’est-à-dire lui placer la tête et l’encolure, avant qu’il se soit livré aux différentes allures, et de ne demander la mise en main qu’en marche, contrairement à ceux qui, déjà à cette époque, travaillaient d’abord le cheval en place.

Pluvinel, devenu écuyer du roi, fit l’éducation équestre de Louis XIII et nous a laissé un ouvrage fort curieux, l’Instruction du roi en l’exercice de monter à cheval, dans lequel, sous forme de dialogue entre son élève et lui, il donne déjà des principes fort supérieurs à ceux de La Broue et exprime des idées que beaucoup d’écuyers et de sportsmen de nos jours feraient bien de méditer. Le roi s’adresse d’abord au grand-écuyer de France, qui était alors M. de Bellegarde, et lui dit : « Monsieur le Grand, puisque mon aage et ma force me permettent de contenter le désir que j’ay, il y a longtemps, d’apprendre à bien mener un cheval pour m’en