Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 113.djvu/649

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Rita, Carr of Carrlyon et en général presque tous les anciens ouvrages de M. Aidé au-dessus du Voyage de découvertes ; mais ce n’est pas la faute de l’auteur dont la plume est aussi alerte, aussi colorée que jamais, c’est la faute du genre qui en lui-même ne vaut rien, un roman étant fait pour peindre les passions et les caractères, non pas pour donner en deux volumes d’intrigue sentimentale ou autre, à travers des scènes amenées un peu artificiellement, la physionomie d’une nation tout entière.

Il est impossible d’éviter un peu de froideur dans ces livres hybrides si difficiles à composer. Trop heureux quand l’auteur réussit, comme l’a fait M. Aidé, à éviter victorieusement l’ennui ; mais nous n’en regrettons pas moins qu’il ait renoncé à la publication des souvenirs au jour le jour où, avec beaucoup moins de peine, il nous eût donné ses impressions directes et des portraits sans masques. C’est l’honneur d’un voyageur que de reconnaître par beaucoup de réserve dans ses jugemens l’hospitalité qu’il a reçue à l’étranger, mais c’est le droit d’un auditoire curieux de souhaiter qu’il y ait moins de voiles autour de ce qu’on lui présente. Nous voudrions pénétrer davantage encore dans cette terre inconnue, pleine de surprises, de promesses et d’imprévu, où se prépare l’avenir, au milieu d’une ébullition de forces diverses et contradictoires, souverainement puissantes, dont le vieux monde doit être jaloux. Celui-ci pour se consoler a les qualités que montre à un si haut degré M. Aïdé, des qualités d’expérience acquise, de délicatesse héritée, de maturité sagace, qui permettent de pousser très loin la bonne grâce, sans tomber dans la banalité, de tempérer par une extrême courtoisie la rigueur des jugemens, et de manier supérieurement à l’occasion les armes de l’ironie bienveillante.


TH. BENTZON.