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Troisième figure d’Américain, Jem Gunning, le dud, le gommeux, bien des fois millionnaire, qui parle de son yacht, de ses chevaux, de ses chasses à l’ours dans les montagnes Rocheuses, d’exercices athlétiques de toute sorte, comme le ferait un Anglais du même bord, mais aussi de son argent, comme ne le ferait aucun homme bien élevé d’aucun pays, naïvement plein de lui-même et d’une assurance comique.

Comparse amusant qui représente l’humour, genre Mark Twain, M. Ruggs de Chicago : il est allé en Europe pour gagner des sympathies à la grande foire universelle qui n’aura jamais eu sa pareille ; on y verra un hôtel bâti d’albâtre et d’or, un salon de coiffure pavé de dollars, le sphinx d’Egypte qui aura passé la mer pour compléter un spectacle classique où figureront les princes européens. Chicago est en pourparlers pour cela avec le duc de Bragance comme descendant direct de Christophe Colomb dont on voudrait avoir les os, mais quelques difficultés se présentent. Ossemens et princes viendront sur des galions construits d’après les modèles authentiques de ceux qui amenèrent Colomb. Pour le spectacle biblique, car il en faut un, on aura soit la Mer-Rouge, soit le paradis terrestre, à défaut des paysans d’Ammergau, et, quant au théâtre, Clara Morris fera voir combien est supérieur l’article américain à toutes les Burnhardts et à toutes les Ristor-eyes du monde !

Ceci, moitié plaisant, moitié sérieux ; comme le dit finement Ferrars, il y a souvent une bonne part d’humour inconscient dans les faits et gestes de ses compatriotes.

Les dames ne manquent pas à bord du Teutonic parti de Liverpool. Outre la sympathique puritaine, MM Barham, nous rencontrons une veuve exquise, Mrs Courtly, dont les hommes subissent sans exception le charme un peu compliqué. Pour cette raison même, elle est moins appréciée de son sexe, surtout dans les cercles sévères de Boston où on la traite de « femme à hommes. » Pourvue des dons d’assimilation et de transformation les plus étonnans, tour à tour frivole et sérieuse, mystique et philosophe selon les circonstances, c’est un Protée féminin tirant de la vie tout ce qu’elle peut donner d’agréable, ne professant qu’un principe : jouir délicatement des choses le plus longtemps possible, du reste, excellente amie. Mrs Courtly est évidemment un portrait ; nombre de ses compatriotes l’ont reconnue ou cru reconnaître ; en tout cas, le portrait ne peut blesser ni scandaliser personne, l’original moins que qui que ce soit.

Quant à Mrs Van Winkle, si elle existe, comme nous n’en doutons pas, avec ses ridicules et sa vanité, elle ne prendra jamais