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exceptions, ils n’ont aucun caractère ; impossible de découvrir ce qu’une femme fait et ce qu’elle aime en inspectant son gîte ; une correcte uniformité règne chez telle mondaine frivole, chez telle lectrice assidue de Browning et de Carlyle, chez telle mélomane consacrée au culte de Wagner, chez la dame qui n’est rien de tout cela.

Pour revenir aux clôtures, non-seulement il n’en existe pas entre les villas, mais encore le domaine privé n’est généralement séparé de la voie publique par aucune grille, par aucun mur. Ceci explique qu’il y ait peu de jardins, sauf lorsqu’il s’agit de grandes propriétés. Le cottage anglais, avec son coin de terre plein de couleurs et de parfums, protégé par une barrière rustique, n’a point d’équivalent aux États-Unis. En Californie, une végétation naturelle incomparable décore magnifiquement tous les chemins ; mais dans l’est, où il faudrait un peu d’effort, le prix élevé du travail empêche que la classe moyenne se permette le luxe des fleurs. Très probablement on n’en sent pas le besoin, on n’en a pas l’amour sincère, patient et soigneux. On se borne à payer deux dollars pièce des roses coupées, car nulle part les hommes riches ne sont plus prodigues de bouquets, et les beautés à la mode, pour peu qu’elles veuillent rester impartiales, ne peuvent se montrer au bal que surchargées de fleurs au point de ne savoir qu’en faire.

Le théâtre a été généralement une déception pour Hamilton Aidé ; très peu de pièces supporteraient d’être transplantées et, à l’exception de quelques rôles de caractères, l’interprétation est tout à fait de second ordre, nous dit-il. Ceci l’étonne d’autant plus que les Américains ont de très bons critiques et qu’ils possèdent une troupe, celle de Daly, qui est des meilleures, avec le souvenir d’une longue suite d’excellens artistes, dont quelques-uns vivent encore ; mais le goût du public est devenu détestable. Des opérettes dont la stupidité est sans parallèle en Europe, des farces du genre variétés, réussissent seules à attirer la foule. Heureusement les Jefferson, les Booth, les Irving, les Kendall, viennent quelquefois triompher de cette disposition fâcheuse. On ne peut pousser plus loin que le premier la fidélité à la nature ; les intonations, les gestes, l’expression de la physionomie, tout est chez lui d’une sincérité merveilleuse ; jamais l’envie d’un succès plus populaire et plus bruyant ne le conduit à l’exagération ; il galvanise des pièces vieillies ou sans valeur jusqu’à en faire des chefs-d’œuvre.

Les Américains sont inexcusables de déroger comme ils le font dans leur appréciation des choses du théâtre, car ils possèdent un don national, pour ainsi dire, qui se rapproche des plus beaux dons du comédien, un don qu’ils cultivent et perfectionnent sans