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choses, malgré la parenté. Dans les grandes villes, à New-York comme ailleurs, la seule construction des maisons suffit à indiquer l’une de ces dissemblances qui touchent au fond du caractère. Le goût d’être seul chez soi, de ce qu’on appelle la privacy, l’horreur de toute promiscuité en matière de logement qui distingue l’Anglais est inconnue en Amérique. Toutes les pièces étant, du haut en bas, également chauffées à l’air chaud, on ne juge pas nécessaire de fermer les portes, ce qui met vos actes et vos paroles à la merci de tout le monde, au moins dans le salon qui n’est séparé que par un rideau du corridor d’entrée, d’une part, et de l’autre d’un vestibule central au bout duquel se présente l’escalier ; en face, une baie en forme d’arc conduit à la salle à manger. C’est le plan presque général des habitations moyennes à New-York, un plan qu’impose l’étroitesse de la façade accordée à chaque maison.

La porte extérieure est précédée d’un stoop, ou perron rapide de plusieurs marches ; elle a l’inconvénient de porter rarement un numéro visible. Ce numéro, caché à l’œil nu, ne se révèle, en bien des cas, que tissé sur le paillasson. Si l’on ajoute à cela que les noms de rues ne sont jamais fixés aux murs, mais seulement sur les réverbères où ils s’effacent plus ou moins, on comprendra la difficulté qu’éprouve un étranger à reconnaître son chemin. La décoration des parlours et la vie qu’on y mené sont aussi peu anglaises que l’aspect général des habitations. Chez les gens riches, le luxe ne manque pas : tentures splendides, étoffes, tapis, meubles sans prix ; et sur les murs des tableaux modernes de l’école française, qu’il est difficile de voir, par suite de l’exclusion systématique de la lumière. Chacune de ces collections de peinture ressemble presque exactement aux autres. M. Aïdé nous dit qu’il savait toujours d’avance ce qu’il allait trouver : un certain nombre de Corot ou de soi-disant tels, des Daubigny, des Troyon, un Diaz ou deux, parfois un Millet. Quelque admirables que soient ces maîtres, on voudrait avoir parfois la preuve de goûts personnels chez le collectionneur, qui se borne à calquer, au contraire, sa liste sur celle du voisin. L’ameublement est français, et c’est l’ancienne idée française : — le salon est une pièce d’apparat destinée uniquement à recevoir, — qui domine partout. Les livres épars, la table à écrire, le joli désordre des salons anglais qui a gagné les salons parisiens modernes, tout cela se trouve relégué sans doute dans des appartemens plus intimes, de sorte qu’il est impossible d’appliquer aux intérieurs américains le dicton bien connu que l’habitant se devine d’après l’aspect de sa coquille. Sauf de rares