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et Fechner l’a formulée nettement dans les pages substantielles qu’il consacre à la question. Elle est probablement vraie dans un certain nombre de cas ; mais nous ne la croyons pas d’une vérité générale ; il y a beaucoup de causes différentes qui peuvent produire un même effet.

En définitive, nous résumerons de la façon suivante les connaissances que nous possédons sur le mécanisme de l’audition colorée ; un point est certain, c’est que les impressions de couleur qui sont suggérées par certaines sensations acoustiques sont des images mentales ; un point est probable, c’est que les personnes qui éprouvent ces impressions appartiennent au type visuel ; un point est possible, c’est que la liaison des impressions soit le résultat de perceptions associées.


III

Nous nous ferions une idée trop étroite de l’audition colorée si nous nous bornions à considérer ce phénomène au point de vue du mécanisme psychologique des sensations et des images, et si nous ne parlions pas des relations qu’on a voulu établir entre l’audition colorée et certaines questions d’art et de science. Les littérateurs se sont souvent occupés des associations du son avec la couleur, ils ont à plusieurs reprises décrit ces associations, sans en établir ni même en chercher la nature, et surtout sans se préoccuper des études que faisaient paraître les physiologistes et les médecins. Il en résulte que la question a deux historiques, dont chacun est indépendant de l’autre ; bien plus, ces deux ordres parallèles de recherches ont abouti à des conclusions distinctes. Tandis que les médecins n’ont voulu voir dans l’audition colorée qu’un trouble de la perception des sens, les littérateurs ont cru y découvrir une forme d’art nouvelle.

Seulement, on se tromperait en attribuant aux artistes des conceptions précises ou des théories arrêtées sur ces problèmes délicats ; le plus souvent, ils n’ont eu que des aspirations, un désir vague d’atteindre quelque sensation inédite. Plus d’un semble avoir eu la conviction que par l’audition colorée on arrive à une sorte de sensibilité exaltée qui permet de pénétrer dans les propriétés les plus cachées du monde extérieur ; la perception des accords entre les sons et les couleurs constituerait une première découverte des sens, fermée au vulgaire, accessible seulement à un petit nombre d’initiés ; et il faudrait accepter le témoignage de ces initiés, même sans le bien comprendre, parce qu’en nous donnant des sensations nouvelles, ils peuvent nous procurer des émo-