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à son oreille ; mais elle n’aboutira qu’à des comparaisons intentionnelles, qui pourront se faire et se défaire à volonté ; l’association qui caractérise l’audition colorée est tout autre ; elle n’est point cherchée ni choisie ; le sujet ne l’invente pas, il la trouve en quelque sorte toute formée de son esprit. Il lui suffit d’entendre retentir une voix pour qu’il ait, presque instantanément, dit-on, l’impression que cette voix a une certaine nuance. Le docteur Pedrono dit de son sujet : « Chaque fois qu’un son bien net frappe son oreille, surtout le son d’une voix humaine, à l’instant même, avant toute réflexion, le son se traduit pour lui par une couleur. L’impression est subite et spontanée ; avant de remarquer si une voix est agréable ou non, forte ou faible, il se dit « : Bon ! voix rouge, voix verte, etc. » Cette spontanéité de l’impression montre bien qu’elle n’est point cherchée volontairement. De plus, l’association entre le son et la couleur date de l’enfance ; son origine se perd dans le lointain des premières années ; et telle on l’a perçue au début, telle on la verra persister pendant toute la vie. Aucun de ceux qui ont réellement de l’audition colorée ne peut détruire volontairement ses associations ou les remplacer par d’autres ; du moment que l’a est rouge, il restera rouge malgré un effort fait pour le voir jaune ou incolore ; c’est une association indissoluble, une idée fixe, une obsession.

Nous touchons ici au caractère fondamental de l’audition colorée ; puisqu’elle consiste dans une association artificielle et insurmontable, on ne peut la considérer comme un état strictement physiologique ; c’est une déviation, si insignifiante qu’on la suppose, de la marche ordinaire et normale de la pensée ; elle coïncide le plus souvent, il est vrai, d’après les observations des meilleurs auteurs, avec un parfait état de santé physique et morale ; peut-être trouve-t-on chez la majorité des sujets une légère prédominance du tempérament nerveux. L’influence de l’hérédité a été notée plusieurs fois ; on a compté jusqu’à quatre ou cinq cas dans une même famille, et il y avait alors beaucoup de ressemblances entre les alphabets colorés des parens.

Si l’origine première et profonde de l’audition colorée est, comme nous le croyons, dans l’organisation de l’individu, quelle est la cause occasionnelle qui la détermine, et qui établit une liaison précise entre chaque espèce de son et une couleur ? Nous ne nous poserions pas la question si nous jugions impossible de la résoudre par quelque méthode directe. Nous avons le ferme espoir que des enquêtes individuelles bien conduites finiront par découvrir l’origine de l’association son-couleur. Peut-être faudra-t-il attacher quelque importance à ces petits livres de lecture où les lettres sont