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la nature des impressions qui sont associées ensemble, et qui se servent réciproquement d’excitant. Ainsi, il y a des individus chez lesquels ce ne sont pas les sons, mais bien les sensations de goût et d’odeur qui provoquent des impressions lumineuses ; c’est ce qu’on appelle la gustation et l’olfaction colorées. Chez d’autres, des phénomènes psychiques, comme des souvenirs ou des notions abstraites, produisent le même effet ; tel individu reconnaît des couleurs aux mois, aux jours de la semaine, ou aux heures de la journée. Chez d’autres encore, l’impression associée n’est point visuelle, mais appartient à un sens différent ; elle peut être sonore ; à certaines personnes, la vue des couleurs donne une impression musicale ; elle peut être tactile aussi, et alors les sensations de la vue ou de l’ouïe s’accompagnent de sensations mécaniques. En un mot, toutes les combinaisons que l’imagination peut prévoir entre les différentes sensations se trouvent réalisées.

Voici les principaux traits, les plus généraux et les plus constans, que l’audition colorée présente. En général, les impressions de couleur sont provoquées presque exclusivement par la parole : les sons et les bruits de la nature ne produisent le même effet que par une sorte d’analogie avec la voix humaine. La parole ne donne à celui qui l’écoute une impression de couleur que dans sa pleine émission ; un murmure n’a pas le même effet que la voix chantée ou une lecture on public, la hauteur de la voix influe sur les nuances ; les voix de baryton et de basse éveillent des sensations foncées, et les voix aiguës des sensations claires. En examinant de plus près la source du phénomène, on constate que la couleur, quoiqu’elle puisse emprunter une teinte générale au timbre de la voix, et par conséquent à l’individualité de la personne, dépend plus particulièrement des mots qui sont prononcés ; chaque mot a sa couleur propre, disons plutôt ses couleurs, car certains mots en ont cinq ou six ; en poussant plus loin l’analyse, on s’aperçoit que la couleur des mots dépend de celle des lettres composantes, et que c’est par conséquent l’alphabet qui est coloré ; enfin, une dernière observation, c’est que les consonnes n’ont que des teintes pâles et effacées, et que la coloration du langage dérive directement des voyelles. À quelques exceptions près, ceci est la vérité pour tous les sujets.

Il est curieux de voir que, par suite d’une complication produite par l’éducation, l’apparition des couleurs se fait chez certaines personnes non-seulement quand elles entendent le mot prononcé, ou qu’elles y pensent, mais encore quand elles le voient écrit. Il y a même des personnes qui ne perçoivent la couleur que pendant une lecture. Cependant beaucoup de faits semblent démontrer