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Le récit de ses impressions était bien fait pour surprendre ceux qui ne les éprouvent pas personnellement ; cependant la thèse inaugurale dans laquelle Sachs raconte son histoire psychologique ne fut guère remarquée ; il mourut jeune, à vingt-huit ans, et ses recherches tombèrent dans l’oubli.

Pendant les années suivantes, des médecins et surtout des oculistes, tels que Cornaz, de Genève, publièrent des observations isolées ; la description fut recommencée un grand nombre de fois sous des noms absolument différens, les auteurs n’ayant pas pu se mettre au courant de l’historique. En 1873, parurent les importantes observations de Nussbaumer ; c’étaient deux frères, dont l’un était étudiant à Vienne et l’autre horloger ; tous deux éprouvaient depuis leur jeune âge des sensations colorées, quand ils entendaient certains sons. Dans leur enfance, ils attachaient des cuillères et des couteaux au bout de ficelles, et les balançaient pour les faire sonner ; ils désignaient par une couleur le bruit produit et se communiquaient leurs impressions ; mais souvent ils n’étaient pas d’accord sur la couleur des sons, ce qui amenait de longues disputes, auxquelles leurs frères, sœurs et amis ne comprenaient absolument rien. L’étudiant publia plus tard, sous la direction du professeur Brühl, une étude détaillée sur son cas et celui de son frère.

Six ans après, en 1879, Bleuler et Lehmann écrivirent leur étude ; c’est la plus complète que l’on possède. Les deux auteurs étudiaient la médecine à l’université de Zurich. Bleuler raconte comment lui vint l’idée de ce travail. On causait de chimie. Interrogé sur l’aspect des kétones, Bleuler répondit : « Les kétones sont jaunes, parce qu’il y a un o dans le mot. » Ainsi, par une curieuse illusion, il attribuait les couleurs suggérées par un nom d’objet à cet objet lui-même. Son ami Lehmann, très étonné et ne comprenant rien à la réponse, lui en demanda l’explication ; ce qu’il entendit piqua vivement sa curiosité, et tous les deux se mirent alors à faire des recherches sur leurs parens et sur leurs amis. Ils publièrent la relation de plus de soixante cas.

À partir de cette époque, l’élan est donné, les publications se multiplient ; nous arrivons à la période contemporaine, qui se caractérise par des recherches dirigées dans tous les sens. Il paraît aujourd’hui bien établi que l’audition colorée appartient à une famille de phénomènes similaires, qui tantôt se trouvent groupés chez un même individu, tantôt se dispersent ; l’audition colorée est toujours restée le phénomène le plus fréquent, le mieux étudié, c’est le seul dont nous ayons l’intention de parler ; il faut cependant dire un mot des autres formes ; elles diffèrent principalement par