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d’étude, leurs connaissances technologiques et l’adresse manuelle qu’ils ont acquise contribuent à en faire bien vite des manipulateurs très suffisans.

De l’exposé sommaire que nous venons de retracer se dégage une conclusion que le lecteur aura sans doute déjà instinctivement déduite. Il doit être persuadé que les écoles d’Arts et Métiers, telles qu’elles ont été constituées et telles qu’elles fonctionnent encore actuellement, sont de très bonnes institutions capables de fournir à l’industrie privée ou aux services publics de véritables sujets d’élite, à la condition de ne pas changer leurs méthodes d’enseignement, abstraction faite, bien entendu, des petits perfectionnemens secondaires. Le jour où, dans les établissemens d’Aix, d’Angers, de Châlons, le travail manuel ne sera plus l’occupation principale, essentielle ; le jour où le coefficient de la note d’atelier sera diminué, le jour enfin où l’on sacrifiera soit l’ajustage, soit le travail de la forge, à la géométrie analytique et au calcul différentiel : ce jour-là, disons-nous, précédera la décadence irrévocable des Arts et Métiers. Une semblable évolution transformera les excellens chefs ouvriers d’autrefois en demi-savans prétentieux et insuffisans. L’administration des écoles a si bien compris le danger qu’elle a décidé d’attribuer une récompense de 500 francs à chaque élève médaillé qui, dans le délai de deux ans à partir de sa sortie, justifie d’une année de travail manuel dans un établissement industriel (art. 3 du règlement du 4 avril 1885 relatif aux écoles d’Arts et Métiers). L’existence même de cette décision indique de la part des anciens pensionnaires une tendance fâcheuse motivée par des préjugés contre lesquels on a voulu réagir. Quant à renseignement abstrait ou scientifique, on ne saurait penser à le réduire ni à l’amoindrir ; mais, pour être suivi avec fruit, il exige des intelligences sélectionnées, et, à ce point de vue, la création d’une quatrième école est à regretter. En accroissant le nombre des places à donner, on sera forcé, ou de se montrer moins sévère et de faire baisser le niveau des études, ou d’augmenter encore le nombre déjà considérable des fruits secs, si on veut le maintenir par voie d’épuration.

Jamais on n’a tant insisté qu’à notre époque sur la nécessité de limiter le nombre des foyers d’enseignement pour accroître leur éclat individuel, et, pourtant, bien loin d’en supprimer, on ne cesse d’en fonder de nouveaux. Nous laissons au lecteur le soin d’apprécier cette bizarre inconséquence et d’en expliquer la véritable cause.


ANTOINE DE SAPORTA.