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l’intérieur, suffirait à en donner l’idée. « Je vois par les renseignemens qui me parviennent chaque jour, écrit Montesquiou, que les grands événemens relatifs à la régénération politique de la France occasionnent encore sur plusieurs points des doutes et des incertitudes. » En effet, dans les deux tiers des départemens, les préfets et les commandans des divisions militaires signalent le mécontentement, l’esprit d’opposition, les cris et les actes séditieux[1]. Dans le Jura et dans les Ardennes, en juin et en juillet, les royalistes n’osent pas porter la cocarde blanche de peur des mauvais traitemens des paysans qui ont gardé leurs cocardes tricolores. Le tribunal de Ruffec acquitte des individus qui ont crié : Vive l’empereur ! Des maires refusent de prêter serment au roi. En Alsace et en Lorraine, les paysans, ameutés au passage des colonnes de blessés russes et allemands qui regagnent les frontières, les forcent à baragouiner : « Vive Napoléon ! À bas les Bourbons ! » À Rouen le 4 juillet, à Reims le 23, à Caen pendant quinze jours de suite ; à Bourg le 3 août, à Langres le 20, à Rethel le 10 septembre, à Saint-Saviol le 30 ; à Haguenau, le 15 octobre, à Bar-sur-Ornain le 31, des bandes de populaire parcourent les rues, le soir, en criant : Vive l’empereur. À Passavent (Haute-Saône), le 17 novembre, des paysans enlèvent le drapeau blanc du clocher et le mettent en lambeaux. Le préfet de l’Ain rend, le 13 décembre, un arrêté commençant en ces termes : « Considérant que les hommes du peuple nous ont entouré en criant : Vive l’empereur ! À bas Louis XVIII ! .. » Le 15 août on siffle, au théâtre de Rennes, le Retour du lys, une pièce de circonstance que le parterre ne juge pas de circonstance ce jour-là. À Châlon, des maisons sont illuminées. Dans plusieurs villages des Vosges, les paysans célèbrent la Saint-Napoléon, comme à l’ordinaire, par des jeux, des danses et des feux de joie. Le 21 août, jour de la Saint-Louis, la musique de la garde nationale de Périgueux refuse de jouer au Te Deum. À Tournus, on brise à coups de marteaux l’écusson royal du balcon de l’hôtel de ville ; dans l’Isère, les paysans contraignent des gendarmes, qui

  1. Nommément dans ces départemens : Ain, Aisne, Allier, Ardennes, Aube, Calvados, Cantal, Charente, Charente-Inférieure, Cher, Corrèze, Côte-d’Or, Côtes-du-Nord, Creuse, Dordogne, Doubs, Drôme, Eure-et-Loir, Gironde, Ille-et-Vilaine, Indre, Isère, Jura, Landes, Haute-Loire, Loire-Inférieure, Loiret, Lot-et-Garonne, Maine-et-Loire, Marne, Haute-Marne, Meurthe, Meuse, Morbihan, Moselle, Nièvre, Oise, Puy-de-Dôme, Bas-Rhin, Haut-Rhin, Haute-Saône, Saône-et-Loire, Seine, Seine-et-Marne, Seine-et-Oise, Tarn-et-Garonne, Vienne, Haute-Vienne, Vosges, Yonne. Extraits des lettres des préfets, 25 juin au 1er décembre. (Archives nationales, F 7, 3738, F 7, 3773.) Correspondance générale, juin-novembre. (Archives de la guerre.) — Un rapport général sur l’esprit public du 25 juillet (Archives nationales, F 7, 3738) résume ainsi l’état de l’opinion : « lion esprit dans le Midi, mauvais dans le Nord. »