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ordres du Saint-Esprit et de Saint-Louis, en la prodiguant par fournées presque quotidiennes[1], et en enlevant le droit de vote aux légionnaires dans les collèges électoraux ; il l’avilit en payant avec ce ruban teint de leur sang les plus infimes et les plus honteux services. Pour avoir livré Bordeaux à l’ennemi, Lynch reçoit le grand cordon que vingt Français seulement portaient sous l’empire ; le grade de chevalier est conféré à un maître de poste jadis accusé de faux, à un habitant de Villers-Boccage, forçat libéré. Non content d’atteindre les légionnaires dans leur juste fierté, le roi les frappe dans leurs intérêts en réduisant de moitié leur traitement annuel. Soit mépris, soit défiance, il ne veut pas de soldats français pour veiller à sa sûreté. Ce sont des Suisses, des chouans, des émigrés naguère à la solde de l’étranger, qui gardent les Tuileries.

La formation de la maison militaire n’était pas le moindre des griefs de l’armée. Non-seulement ces six mille soldats d’antichambre, ayant tous au moins le grade de sous-lieutenant, irritaient les vrais officiers par leurs épaulettes si facilement obtenues ; mais, de plus, ils les menaçaient par leur intrusion prochaine dans les cadres des régimens. L’ordonnance du 12 mai réservait les deux tiers des emplois vacans aux officiers à la demi-solde et le dernier tiers au choix du roi, c’est-à-dire aux vieux émigrés et aux jeunes royalistes de la maison militaire. Pour les officiers en activité, l’avancement devenait donc à peu près nul, car ils pouvaient espérer tout au plus une promotion sur neuf vacances. La plupart risquaient de rester avec le même grade jusqu’à leur retraite. Quant aux sous-officiers, et partant aux soldats, ils se retrouvaient, non par le fait des lois, mais par la force des choses, dans l’état de servage perpétuel dont les avait affranchis la révolution.

  1. En feuilletant le Moniteur de 1814, on trouve tous les deux ou trois numéros une liste de 20, de 100, de 300 nouveaux légionnaires. Parfois, le Moniteur se borne à cette mention : « Le roi, par ordonnance de tel jour, a confirmé les 50 ou les 200 ou les 300 décorations données dans tel département par le comte d’Artois ou par le duc d’Angoulême ou par le duc de Berry. » — On a même prétendu que certains ministres trafiquaient des décorations. La croix de chevalier était tarifée 300 francs.