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population parisienne. Chacun tirait tout à soi : l’un pour servir plus librement les intérêts de l’État, à l’encontre de l’opposition du parti de la cour ; l’autre afin de se concilier les princes et leurs créatures. Talleyrand et Louis tenaient pour la charte, Dupont et Beugnot en étaient aussi partisans, mais « ils cherchaient à plaire, » comme dit Vitrolles, et ils s’ingéniaient à prévenir les désirs et à flatter les idées des familiers du château. D’Ambray, qui se vantait d’avoir eu le bonheur de ne rien voir ni de rien connaître de la révolution, restée ainsi pour lui comme non avenue ; » Ferrand, qui avait écrit : « Si la clémence est un plaisir, la justice est un devoir, » et que l’on appelait un « Marat blanc ; » Malouet lui-même, un des plus ardens défenseurs à la Constituante des droits de la couronne, représentaient l’ancien régime. Ils croyaient la contre-révolution accomplie et regardaient le gouvernement constitutionnel comme une transition entre l’empire et la monarchie absolue, qu’ils désignaient cependant, pour ne pas trop se compromettre, par l’euphémisme de « pouvoir concentré. » Royaliste de tradition, de tempérament et de sentiment, l’abbé de Montesquiou n’en voyait pas moins les choses comme elles étaient : les prétentions s’exaspérant chez les émigrés, l’opposition naissant dans la chambre, la défiance persistant dans le pays. Il agissait donc avec une certaine modération, cherchant « par une politique d’assoupissement, » à calmer les impatiences et à rassurer les inquiétudes. M. de Blacas, que tous les partis ont accusé à l’envi, et qui était en effet le vrai conseil de Louis XVIII après avoir été le plus cher ami du comte de Lille, fut aussi un modéré par raison. Il voulait avant tout le repos du roi, car le repos du roi, c’était la conservation de la faveur royale. S’il avait pu, il l’aurait tenu en chartre privée de façon à lui éviter toute contention et tout ennui. Au moins, s’efforçait-il de dissiper les inquiétudes que les discussions du conseil faisaient naître quelquefois, — bien rarement ! — dans l’esprit de ce monarque d’une si imperturbable confiance. Il lui persuadait sans peine que tous les périls étaient chimères et que « Bonaparte n’était plus qu’un cadavre enseveli dans une île. » S’il endormit ainsi son maître en une fausse sécurité, Blacas eut cependant le bon sens de voir que les royalistes ultras n’étaient pas les moins dangereux ennemis de la royauté et de mettre Louis XVIII en garde contre leurs projets. Il engageait le roi à prodiguer grâces et faveurs aux émigrés, mais il le dissuadait de céder aux remontrances irritées du comte d’Artois et aux larmes de la duchesse d’Angoulême. Blacas estimait que, pour contenter tout à fait le parti de Coblentz, il ne fallait pas cependant risquer de perdre la couronne. Les favoris sont jalousés