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elle s’était passionnée pour la Déclaration des Droits de l’homme. De Paris, l’impopularité des princes gagna les départemens : ce fut le plus clair résultat de ce voyage de propagande royaliste.

Des parens du roi, un seul avait les sympathies de la population parisienne et surtout de la bourgeoisie. Ce n’étaient naturellement ni le prince de Condé, ni son fils le duc de Bourbon, ces deux Épiménides à perruque poudrée que leur retour en France n’avait qu’à demi réveillés. C’était le duc d’Orléans, l’ancien membre du club des Amis de la Constitution, le soldat de Valmy et de Jemmapes. Mais celui-ci, Louis XVIII n’avait eu garde de l’envoyer dans les provinces comme son représentant. La cour le tenait en suspicion, le roi et les princes, qui sentaient en lui l’héritier présomptif de la Révolution, redoutaient sa popularité renaissante. Les francs-maçons du Grand-Orient ne parlaient-ils pas déjà de l’élire grand-maître de la loge ? Ses paroles, sa correspondance, ses promenades, les visites qu’il recevait étaient épiées, surveillées, dénoncées. La police avait moralement établi une souricière au Palais-Royal. Nul n’y entrait ou n’en sortait sans être signalé. Le prince, cependant, avait l’attitude la plus correcte ; rien dans sa conduite ne pouvait motiver les soupçons des Tuileries. Il vivait familialement, lisant, étudiant, parcourant à pied les rues de ce Paris où il était si heureux de se retrouver. Il recevait, il est vrai, d’anciens officiers de Dumouriez et de Valence, des libéraux du Palais-Bourbon et des constitutionnels du Luxembourg ; mais c’était plutôt par communauté d’esprit que dans le dessein de se faire des créatures. Il ne s’occupait pas de politique, restait étranger au jeu des conspirateurs dont il était néanmoins un des atouts, et décourageait par un froid accueil les intrigans qui tentaient de l’amener à eux. Talleyrand disait de lui : « — C’est un prince mou et sans caractère. » Et son compère Fouché ajoutait : « — Nous n’en ferons rien. Comment espérer prendre quelque empire sur un Bourbon qui n’a ni maîtresse ni confesseur ! »

Le roi jouait de malheur avec sa famille. Le nom, le passé, la popularité du duc d’Orléans, lui inspiraient des craintes ; le langage imprudent du comte d’Artois et du duc d’Angoulême et les brutalités du duc de Berry lui suscitaient sans cesse des difficultés et des embarras. Si paternelle que fût son affection pour son frère et pour ses neveux, il eut sans doute plus d’un mouvement d’humeur contre les princes et leurs compromettans protégés, les émigrés et les chouans.

Louis XVIII aurait volontiers pris les avantages de la souveraineté sans en assumer les charges. Homme d’esprit, et, dans une certaine mesure, homme de bon sens, mais vieux avant l’âge,