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grand-amiral, le duc d’Angoulême parcourut le littoral de la Manche et de l’Océan ; le duc de Berry, l’homme de guerre de la famille, inspecta les places fortes de la frontière du Nord et de l’Est ; le comte d’Artois se réserva les départemens du Midi. Ces voyages de propagande ne donnèrent pas les résultats espérés. Dans l’Ouest, la présence du duc d’Angoulême exalta les esprits au lieu de les calmer. Des Vendéens ayant voulu élever devant Nantes, sur la rive gauche de la Loire, un arc de triomphe avec cette inscription : « Ici commence la Vendée, » des patriotes de la ville menacèrent d’élever sur la rive droite un autre arc de triomphe portant ces mots : « Ici échoua la Vendée. » Dans cette même ville de Nantes, le prince entendit des « Vive l’empereur ! » parmi les acclamations. Quand il passa la Loire en barque, au bruit des salves d’artillerie, un homme dit à haute voix : « — Je voudrais que tous ces canons fussent chargés à mitraille. » À Rennes, il y eut des clameurs ; à Angers, il y eut des troubles ; à Vannes, la garde nationale refusa de prendre les armes sous prétexte que le roi n’avait pas aboli les droits réunis. Enfin, mécontens du maintien de ces contributions, exaspérés contre les Anglais qu’ils accusaient de ruiner le commerce de la France, blessés dans leurs sentimens d’égalité par la morgue de la noblesse de Guyenne, les Bordelais firent au duc d’Angoulême un accueil moins chaleureux qu’il ne l’attendait.

Dans sa tournée militaire, le duc de Berry se montra comme de coutume dur, brusque, emporté, « incapable, dit un rapport de police, de maîtriser ses paroles ni même ses gestes. » Les nombreuses croix qu’il distribua n’effacèrent pas le souvenir de ses outrages et de ses violences. Malgré les distributions d’eau-de-vie, ou peut-être à cause de ces distributions, dans mainte garnison, il fut salué par les cris de : Vive l’empereur ! Des remparts de Bouchain, un coup à boulet au milieu des coups à blanc fut tiré sur sa voiture. Le projectile alla briser à peu de distance la charrette d’un charbonnier. On commença une enquête qui n’aboutit à rien. Le bon Henri IV disait qu’il faut gagner ses ennemis quitte à désobliger ses amis. Le comte d’Artois fit le contraire. Dans toutes les villes où il s’arrêta, il combla les royalistes de faveurs, d’encouragemens et de promesses et il alarma les constitutionnels par ses paroles imprudentes et ses défis à l’opinion. Ici il déplorait au sortir de table les concessions que le roi avait faites à l’esprit révolutionnaire ; là, il demandait à un maire ce qu’il penserait d’une restitution des biens nationaux ; ailleurs, il refusait de recevoir des évêques jadis assermentés. Nulle part il ne prononça le mot de charte. Cette omission préméditée était bien dangereuse dans ces temps où la France se passionnait pour la charte comme en 1789