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Certains tics le rendaient ridicule. Muet au conseil du roi, timide à la cour, il était partout ailleurs colère et brutal. Le Carpentier, chef du bureau du personnel au ministère de la marine, ayant tardé à placer un de ses protégés, le prince furieux le prit rudement au collet.

Le duc de Berry préférait les catholiques aux voltairiens, les émigrés aux libéraux et la monarchie absolue au gouvernement parlementaire, mais il aimait surtout les femmes, les chevaux, la chasse et le commandement des armées. Or, comme sous le régime de 1814, il avait 1,500,000 livres d’apanage, autant de femmes et de chevaux qu’il en voulait, dix forêts pour chasser, des régimens à inspecter et des corps d’armée à faire manœuvrer, il supportait gaîment la maladie constitutionnelle, pardonnait de bon cœur à Louis XVIII de ne point chercher à la guérir par quelque remède héroïque, et, repoussant les théories du comte d’Artois, prenait à l’occasion le parti du roi contre les royalistes. Tandis que le duc d’Angoulême n’ouvrait point la bouche au conseil, lui parlait sans cesse et toujours avec ardeur. Sa nature franche, primesautière et enthousiaste lui eût gagné l’opinion s’il ne se la fût aliénée par les accès de colère furieuse dont il donnait sans cesse l’indigne et affligeant spectacle. « C’était la colère de Jupiter, » dit Vitrolles. C’était plutôt la colère d’un portefaix. Un jour le prince s’emporta au point d’arracher l’épaulette d’un major d’infanterie. Louis XVIII punit des arrêts son irascible neveu, manda aux Tuileries l’officier outragé et lui remit des épaulettes de colonel. « — Si le duc de Berry, dit-il, vous a enlevé votre épaulette, c’était pour vous donner celles-ci. » Dans des revues, dans des inspections, Berry s’oublia ainsi plus d’une fois. Et cependant, il avait la passion de l’armée. Il aimait les soldats et s’efforçait de se faire aimer d’eux en les traitant avec une brusquerie familière. Il les interpellait, les tutoyait, les prenait par l’oreille, goûtait leur soupe. Mais les soldats riaient dans leur moustache, disant que le prince faisait tout cela a pour singer l’empereur. » Même dans la population parisienne, on raillait un peu ces façons de Petit Caporal chez un homme qui n’avait encore remporté de victoires que sur le corps de ballet. À la suite d’un simulacre de combat donné entre Paris et Clichy, on fit une caricature qui représentait d’un côté Napoléon à Austerlitz, de l’autre, le duc de Berry à la barrière de Monceau, avec cette légende : « À ton tour, Paillasse ! »

Dans le courant de l’été de 1814, Louis XVIII, autant peut-être pour trouver quelque repos par l’éloignement de sa famille que dans le dessein, comme on l’a dit, de royaliser la France, encouragea les princes à visiter les diverses provinces du royaume. En sa qualité de