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Les royalistes n’en continuèrent pas moins leur campagne pour la restitution de leurs biens. Chaque jour, des suppliques étaient présentées au roi, au comte d’Artois, à la duchesse d’Angoulême, par des émigrés et des députations de royalistes de province, reçus en audience privée. Pendant cet été de 1814, les abords des Tuileries avaient un aspect de carnaval. Les Parisiens, étonnés et moqueurs, voyaient défiler dans les défroques d’antan une navrante mascarade d’ancien régime et de guerre civile : marquis de l’autre siècle, avec la perruque poudrée à ailes de pigeon, l’épée en verrou, le tricorne, le gilet de satin, l’habit de couleur à longues basques, orné de grosses épaulettes qu’ils s’arrogeaient le droit de porter avant la décision de la commission des grades ; capitaines des paroisses vendéennes, ayant le grand chapeau à la La Rochejaquelein et un sacré-cœur cousu sur le côté gauche de la poitrine ; Bretons à longs cheveux, à veste brodée et à culottes bouffantes ; chouans du Maine, le torse dans un sarrau de toile rousse, les jambes dans des jambières de peaux de bique ; revenans du camp de Jalès avec l’uniforme des fédérés et la cocarde blanche ; fantômes de l’armée de Condé, en tenue bleu de ciel à paremens orange et à tresses d’argent ; gentilshommes de Guyenne portant le brassard blanc et fanatiques du Comtat décorés de rubans violets pour se distinguer des modérés à cocarde blanche. C’est pendant une audience donnée aux députations provinciales que le duc de Berry, exprimant les regrets du roi d’être dans l’impossibilité de faire restituer les biens vendus, s’attira cette réponse du comte de S.-M. : « — Que Sa Majesté me donne deux compagnies de gardes du corps. Je parcourrai la France et je me fais fort de contraindre tous les acquéreurs à nous rendre ce qu’ils nous ont pris. »


V

Du jour où Louis XVIII eut donné la charte, les royalistes déçus et mécontens mirent toutes leurs espérances dans les princes. Tandis que le roi se résignait à devenir constitutionnel, la famille royale conservait l’esprit de l’émigration. Le comte d’Artois, qui au lit de mort de sa maîtresse, Mme de Polastron, avait passé du libertinage à la bigoterie, repoussait toute idée libérale. L’abbé Latil était son conseil et son maître. Sa Maison était composée de royalistes intraitables. Son état-major était immaculé : pas un des officiers n’avait servi dans les armées impériales. Au pavillon de Marsan, on eût pu se croire à Coblentz. Dans cette retraite, Monsieur s’apprenait à gouverner au milieu de ses courtisans qui formaient une sorte de ministère, appelé le