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anciens soldats des armées catholiques. Une insurrection royaliste, préparée depuis l’hiver, devait éclater à la mi-avril. Bien que la chute de l’empire eût rendu ce soulèvement sans objet, vingt mille paysans n’en prirent pas moins les armes. Organisés par paroisses, ils se tenaient prêts à se ruer contre les bleus au premier coup de tocsin. Sur la rive gauche de la basse Loire, nombre d’acquéreurs, parmi lesquels le maire de Montaigu, qui faillit être massacré, quittèrent les villages et se réfugièrent à Nantes. Dans cette ville même, on redoutait une invasion des chouans ; la gendarmerie et les cohortes urbaines restèrent sur pied toute la nuit du 3 au 4 mai. Au mois de juillet, nouvelle alarme. Les blancs parcourent les campagnes en disant qu’il faut un autre roi « pour faire ce que celui-ci ne veut pas faire. » À Nantes, on craint que la Vendée ne se lève tout entière, le jour de la Saint-Louis, pour remettre les choses dans l’état où elles étaient avant 1789. À Nîmes, les protestans, que les catholiques appellent les impurs, s’attendent à une nouvelle Saint-Barthélémy. En Provence et dans le Comtat, on parle de pendre tous les Nicolas, c’est-à-dire tous les anciens bonapartistes et républicains, et on signe des pétitions pour le retour d’Avignon aux États du pape. î)ans la partie restée française du département du Mont Blanc, prêtres et nobles, espérant sans doute la restitution de leurs biens sous le sceptre de la maison de Savoie, fomentent un mouvement séparatiste.

Au mois de juillet, les avocats Dard et Falconnet publièrent simultanément deux brochures rédigées sous forme de consultation juridique et concluant à l’annulation des ventes nationales. Ces écrits déchaînèrent l’opinion à ce point que le gouvernement se vit contraint de faire arrêter les auteurs. Mais ils furent mis en liberté après quelques jours de prison préventive. Une pétition fut adressée à la chambre. La signataire, une dame Mathée, exposait qu’après avoir acquis et payé des biens d’émigrés, les publications de Dard et de Falconnet lui avait inspiré des doutes sur la validité de ces acquisitions. En conséquence, elle demandait une loi qui fit cesser sa perplexité. La chambre adopta un ordre du jour motivé où, rappelant que la vente des biens d’émigrés ayant été confirmée et maintenue par les constitutions de l’an III et de l’an VII, par la déclaration de Saint-Ouen, et enfin par la charte constitutionnelle, elle concluait que « les craintes de la dame Mathée étaient sans fondement. » On apprit bientôt que la dame Mathée n’existait pas. C’était un groupe d’acquéreurs alarmés qui avait rédigé cette pétition afin d’obliger la chambre à consacrer une fois de plus l’inviolabilité des ventes.