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déclaration de Saint-Ouen, il n’y avait point à espérer de frapper une seconde fois les esprits en renouvelant solennellement un contrat vieux déjà de deux mois. Toutes les garanties énoncées dans la constitution, on les attendait. Ce que l’on attendait le moins, c’était les articles XXXVIII et XL de la charte qui réduisaient à douze ou quinze mille citoyens le nombre des électeurs directs et à quatre ou cinq mille riches propriétaires le nombre des éligibles, en sorte que nombre de députés en exercice, nommément le président de la chambre Félix Faulcon, perdaient leurs droits à l’éligibilité. Ce que l’on attendait moins, c’était le nom de charte octroyée donné à l’acte constitutionnel et la formule singulière qui le terminait : donné à Paris, l’an de grâce 1814 et de notre règne le dix-neuvième. Les politiques épiloguèrent avec plus ou moins d’amertume sur ces inoffensives prétentions : les bonapartistes parce qu’ils regardaient la mention de la dix-neuvième année du règne comme un outrage au gouvernement qu’ils avaient servi quatorze ans et dont le chef avait cependant fait assez de choses et assez de bruit pour compter ; les libéraux et les révolutionnaires parce qu’ils voyaient dans l’octroi de la charte une atteinte aux droits du peuple. Mais le peuple lui-même ne s’inquiétait pas de ces subtilités.

Il allait bientôt s’émouvoir davantage de la malencontreuse ordonnance de Beugnot. D’accord avec la cour, mais sans consulter le cabinet, le nouveau directeur-général de la police, enflammé soudain d’un zèle ardent pour la religion, prescrivit l’observance rigoureuse des dimanches et fêtes. Interdiction de tout travail et de tout commerce, défense d’ouvrir les ateliers, chantiers et boutiques, de faire déménagemens ou charrois ; fermeture obligatoire des cafés, restaurans et cabarets pendant la durée des offices, le tout à peine de 100 à 500 francs d’amende. Cette ordonnance fut rendue le 7 juin ; le 10, Beugnot s’avisa qu’elle était incomplète. Par un nouvel arrêté, il rétablit dans toutes les paroisses les processions de la Fête-Dieu et l’Octave. Pendant ces deux jours, la circulation des voitures serait interdite de huit heures du matin à trois heures de l’après-midi, et il était enjoint de tapisser toutes les maisons sur le passage du Saint-Sacrement. « Le peuple des boutiques et des ouvriers a été ulcéré, écrivait J.-P. Brès le 4 juillet. Il va à la messe, mais volontairement, tandis que les processions lui barrent le chemin et le forcent à saluer ; cela le rend furieux. » Il y eut des résistances, de petites émeutes. Des gens qui refusaient de s’incliner devant les processions furent frappés. Rue Saint-Honoré, la police, repoussée par les marchands, dut appeler à son aide la gendarmerie pour faire fermer les boutiques. Beugnot reçut des lettres d’injures, une pétition fut adressée à la chambre des