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la restauration et pour fonder sur la royauté constitutionnelle les meilleures espérances.

C’est pourquoi la plupart des auteurs de Mémoires et des historiens ont pu dire que le rétablissement des Bourbons fut accueilli sans opposition et même avec enthousiasme. Cela est vrai à ne juger que par l’opinion des salons ; mais cela est faux si l’on écoute les murmures du peuple et les clameurs de l’armée. Dans les masses populaires, il y avait bien des hésitations et bien des défiances, il y avait une hostilité sourde et même des révoltes. Mais avec beaucoup de prudence et un peu d’habileté, on fût arrivé à calmer les esprits. La grande difficulté, ce n’était pas de gagner le peuple, qui raisonne peu, se contente aisément et a la longue accoutumance de la résignation ; c’était de se conserver les classes dirigeantes, naturellement irritables et frondeuses.


II

La signature de la paix et la promulgation de la charte ne profitèrent pas à l’opinion. Cette paix tant désirée existait, de fait, depuis deux mois. On s’y était habitué : avec raison on la regardait comme acquise. La publication du traité n’apprit donc rien aux Français, sinon les sacrifices que les vainqueurs leur imposaient. On avait fondé des espérances chimériques sur la déclaration du tsar. On se flattait que la France, tout en perdant la majeure partie de ses conquêtes, ne rentrerait pas dans les frontières de 1789. Les uns songeaient à la rive gauche du Rhin ; de plus modérés croyaient à la conservation partielle des départemens de la Sarre, des Forêts, de Sambre-et-Meuse, de Jemmapes et de la Lys. Or le traité du 30 mai nous dépossédait de l’île de France et de quelques autres colonies, et n’ajoutait à l’ancien territoire royal qu’environ 170 lieues carrées, au nord et à l’est. Sans doute, c’était quelque chose, car les alliés pouvaient dicter des conditions encore moins favorables. Mais ce n’était pas ce que l’on espérait. En vain, pour préparer et calmer l’opinion, les journaux plaisantaient sur la question des frontières naturelles : « Comment, nous dit-on, nous allons perdre toutes nos conquêtes. Oh ! l’heureuse perte ! Désormais du moins nous serons entre nous et à nous, nous ne verrons plus dans nos assemblées, dans nos tribunaux, dans nos armées ces hommes du Nord et de ces hommes du Midi s’efforçant maladroitement de s’assimiler à nos lois. » Ces odieux sophismes ne faisaient qu’irriter. Les frontières naturelles, que deux mois auparavant on eût abandonnées d’un cœur joyeux pour obtenir la paix, maintenant qu’on avait la paix, on s’indignait de les voir céder.

Les principes essentiels de la charte étant contenus dans la