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Je n’ai pas pu le savoir. Mais, par ailleurs, outre l’abondance incontestée, ce projet avait des côtés bien séduisans. Loin d’avoir à lutter contre l’hostilité des habitans de la contrée, on était appelé, désiré, accueilli à bras ouverts. Peut-être même, au lieu d’avoir à leur offrir des indemnités, aurait-on pu, chose surprenante, leur demander une certaine participation. Rassembler ces eaux, en effet, les emmener au loin, c’était drainer la plaine, c’était y faire baisser le plan d’eau, surélevé depuis que la canalisation de l’Yonne en avait remonté le niveau. Des terres fertiles étaient ainsi devenues singulièrement humides ; les assécher, c’était leur rendre leur ancienne valeur. C’était peut-être aussi, qui sait ? faciliter du même coup l’achèvement de l’amélioration de l’Yonne, qui, au grand dommage de la navigation, n’a pas encore le tirant d’eau prescrit par la loi de 1879. C’était, chance rare, avoir tout le monde pour soi !

La proposition du service hydraulique, si elle avait été acceptée au moment où elle s’est produite, aurait eu pour résultat de faire écarter le projet de l’Avre, objet alors de l’engouement de l’Hôtel de Ville. Ce fut, sans doute, son plus grand malheur. On lui fut sévère. On fit observer que la plaine sous laquelle circule l’eau qu’on proposait de recueillir était habitée et cultivée ; d’où possibilité de contamination. L’épaisseur des terrains que l’eau de la surface a à traverser pour atteindre le niveau de la nappe paraît cependant suffisante à en assurer la purification. Ce filtre naturel est il moins épais que celui de Gennevilliers dont l’efficacité est officielle ? Pas de beaucoup. — Mais rien n’y fit. Le projet fut écarté sur cette appréhension. Si on devait un jour l’étudier à nouveau, ne trouverait-on pas, par une modification de tracé, ou autrement, le moyen de calmer des défiances, respectables après tout, en raison du motif qui les inspire ? Il n’en faut pas désespérer. Ce drainage, en vue d’une distribution urbaine, d’une nappe d’eau circulant à travers un terrain naturel de sable et de gravier, ne serait d’ailleurs pas une innovation, que l’expérience devrait consacrer. C’est par un procédé de ce genre que Toulouse est alimenté de temps immémorial. C’est aussi ce qui se fait à Dresde, à Cologne, à Dusseldorf et ailleurs encore. La Hollande n’a sans doute pas une seule source de quelque importance ; toutes ses villes cependant sont pourvues de distributions intérieures. Elle y fait circuler, chez quelques-unes, l’eau de ses fleuves ; chez la plupart, l’eau drainée dans ses dunes. Il ne semble pas qu’il en résulte, pour sa robuste population, un dépérissement quelconque.

Maintenant aurai-je le courage de le dire, au risque de paraître praver l’opinion ? L’eau de Seine est peut-être meilleure que la réputation qu’on lui a faite, et, à défaut d’autre, ne pourrait-on