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pour le jour où il triompherait pleinement ; on suscitait les mesures, — de représailles, aux yeux des uns, de légitime défense, dans la pensée des autres, — qui aboutirent, en 1879, à un renouvellement presque intégral du conseil d’État. Mais, avant de rappeler dans quelles circonstances ce renouvellement eut lieu, il convient de replacer dans leur cadre historique certaines dispositions de la loi du 24 mai 1872. Ces dispositions, à quelques changemens près, sont restées en vigueur. La loi compte aujourd’hui vingt années d’existence. C’est un assez grand âge. De tous les statuts organiques qui ont régi tour à tour le conseil d’État depuis l’an VIII, aucun n’a eu une durée si longue.


II.

Lorsqu’on étudie en détail l’économie de cette loi, on est frappé d’abord de son caractère composite. Le législateur de 1872, à la différence de ses devanciers, n’a ni créé une variété nouvelle ni exactement restauré l’un des types anciens ; mais il a combiné les systèmes antérieurs ; il a fait œuvre d’éclectisme. Assurément oui, c’est le conseil d’État de la royauté parlementaire, le conseil d’État selon la loi du 19 juillet 1845, qui lui a servi de modèle ; mais il a, d’autre part, emprunté plus d’un trait aux deux régimes si dissemblables de 1849 et de 1852, — par exemple, les formes dans lesquelles sont rendus les jugemens[1].

Ces formes, en effet, ont une double origine. Nous avons vu comment le décret du 25 janvier 1852 avait attribué à la section du contentieux le pouvoir de décider seule dans les affaires où il n’y a pas d’avocat ; comment, en outre, il avait institué, pour tenir l’audience publique, une assemblée distincte de l’assemblée générale, et où les sections administratives ne participaient plus que par leurs délégués. Ces dispositions furent maintenues dans la loi de 1872. En même temps, par un retour à la législation de 1849, on abolissait la fiction de la « justice retenue» et l’on rétablissait le tribunal des conflits.

Sur cette question de la justice retenue, jadis l’objet de controverses si vives, M. Batbie disait, dans le rapport qu’il déposa, le 29 janvier 1872, sur le bureau de l’assemblée : « Depuis qu’ils ont été institués, en l’an VIII, les conseils de préfecture rendent des arrêtés exécutoires… Nous ne faisons donc qu’appliquer au second degré ce qui, pendant plus de soixante-dix ans, a été pratiqué au premier. Pourquoi, en effet, la justice administrative

  1. Voir le Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, par M. Ed. Laferrière, vice-président du conseil d’État, 2 vol., 1887-88.