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M. Gladstone, en tenant à s’assurer le concours de lord Rosebery, a voulu certainement donner un gage à ceux qui auraient pu craindre des volte-faces trop subites. Lord Rosebery pourra pratiquer la politique du dernier cabinet, il la pratiquera autrement, et le chef du ministère, pour sa part, en a dit assez, il y a peu de temps encore, pour laisser voir qu’il n’a aucun goût pour les alliances continentales, doubles ou triples, qu’il ne se croit que modérément solidaire des engagemens que lord Salisbury aurait pu prendre. Lord Rosebery, en rentrant au foreign office, pourrait avoir, d’ailleurs, d’autres affaires à traiter si les complications s’aggravaient dans l’Afghanistan, où l’émir, l’allié de l’Angleterre, a eu récemment des démêlés avec les Russes du côté du Pamir et a en même temps à se défendre contre des insurrections qu’il n’a pu réussir à vaincre. Il y a là de quoi occuper un ministère pour son avènement.

Nous vivons décidément dans le siècle des anniversaires, des centenaires qui se multiplient à l’infini : chaque pays veut avoir ses fêtes, ses commémorations. Il y en a de puériles ou de surannées qui ressemblent à des réminiscences archéologiques ; il y en a aussi d’un intérêt plus saisissant, et de tous les centenaires du jour, un des plus mémorables assurément est celui qu’on se dispose à célébrer un peu partout, — en Espagne, en Italie, en France comme en Amérique, — le quatrième centenaire de Christophe Colomb et de la découverte du Nouveau-Monde. Celui-là intéresse l’univers, la civilisation tout entière ; il rappelle un événement qui a livré tout un monde à l’activité humaine, au génie des vieilles races. Entre le jour où le grand navigateur génois abordait cette terre mystérieuse, jusque-là inexplorée, et cette heure du siècle où nous sommes, que de révolutions et de transformations se sont accomplies ! Tout a changé de face, à commencer par ces régions elles-mêmes où à la place des campemens indiens s’élèvent des sociétés nouvelles, des républiques agitées, filles de l’Europe et devenues à leur tour indépendantes. Ni Christophe Colomb et ses compagnons, ni ceux qui l’ont suivi depuis et ont conquis le continent, ne s’y reconnaîtraient. Le jour du quatrième centenaire se lève vraiment sur d’étranges spectacles ; il éclaire surtout cette vaste société américaine qui grandit d’année en année, et en vient à compter soixante millions d’âmes, qui a reçu et reçoit encore des alluvions de toutes les races, qui a les grandeurs des civilisations opulentes et en a déjà les crises, qui a toute la fécondité vivace d’une liberté sans limites et en connaît aussi les déchiremens.

Cette vaste union américaine, en effet, elle est, certes, puissante ; mais elle paie aussi la rançon de ses grandeurs, de la précipitation de sa croissance, de la diversité de ses races, de ses fortunes colossales, de ses excès de production, de ses mœurs industrielles, de ses habitudes de lutte à outrance. Que parlons-nous des grèves de France ou de