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ces syndicats, ces lois qui ont la prétention d’être des réformes sociales, avec tout cela, on n’a réussi qu’à organiser la guerre, une sorte de guerre permanente, sans aucun moyen légal de pacifier les intérêts ou les passions. Rien n’est prévu pour la paix, tout est préparé et combiné pour la guerre. C’est une forme particulière de l’anarchie entre bien d’autres, — et certainement, en fait d’anarchie, un des plus rares spécimens est cette sorte d’insurrection des municipalités socialistes, qui entrent aujourd’hui en scène, qui ne sont en définitive que les alliées ou les complices des agitations grévistes.

Elles sont, à la vérité, peu nombreuses en France, ces étranges municipalités ; elles se démènent, elles font du bruit, comme si elles étaient plus nombreuses, comme si elles représentaient la nation, et elles ont du moins cela d’instructif, de curieux, qu’elles montrent d’avance ce que deviendrait le pays si elles se multipliaient. Un de leurs caractères, c’est qu’elles n’ont pas le moindre souci des lois. Elles prétendent former une fédération de petites communes indépendantes et omnipotentes, se gouvernant, ayant leur police, même leur drapeau, disposant de la force publique. De fait elles ne connaissent que leur fantaisie. Paris a eu quelque temps le privilège d’avoir presque seul un conseil municipal représentant la fleur du radicalisme révolutionnaire. Paris est en train de perdre sa couronne ! Saint-Ouen a la vaillante ambition d’éclipser l’Hôtel de Ville, de décréter des anniversaires, d’avoir son congrès où il avait déjà donné rendez-vous à toutes les municipalités socialistes françaises. Malheureusement Saint-Ouen, qui allait s’illustrer, est éclipsé à son tour par Marseille, qui veut avoir son congrès, un congrès digne de la Canebière, chargé de promulguer le programme de la révolution sociale. Ne dites pas à ces municipalités qu’elles n’ont pas le droit de se réunir, qu’elles violent les lois : elles respectent les lois puisqu’elles les tournent, elles n’en font ni plus ni moins ! Et, en attendant les congrès socialistes, Roubaix jouit déjà de tous les bienfaits pratiques du régime nouveau. Ici tout est socialiste, le maire, la municipalité, les conseillers de toute sorte, les agens. Aussi l’autre jour, un malheureux propriétaire d’un café, apparemment suspect, a vu sa maison saccagée, sa femme rouée de coups. Un ouvrier qui a voulu généreusement s’opposer à ces violences a été victime de son dévoûment d’honnête homme. Ce n’est pas tout ; un adjoint récemment élu conseiller général, marchant avec sa bande, le drapeau rouge en tête, est allé attaquer un. de ses concurrens, qui, pour avoir refusé de s’incliner devant le drapeau, a failli être mis en pièces. Et comme quelques furieux auteurs de ces excès ont été arrêtés, le maire est intervenu aussitôt auprès du commissaire de police qui a eu la faiblesse de l’écouter, pour réclamer la liberté des coupables. Le maire, on a dit le mot, s’est mis « avec les assommeurs contre les assommés. » Voilà qui est clair et qui promet ! Et c’est