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incidens qui s’efforcent d’être bruyans et même quelquefois menaçans ne répondent à rien de profond dans le pays, qu’ils ne sont qu’une diversion limitée et factice de la saison, qu’ils restent tout au plus le signe obstiné et survivant d’un état moral depuis trop longtemps altéré.

Que les partis en soient toujours aux récriminations et aux polémiques sur leurs affaires, sur leurs succès ou leurs défaites dans les élections, sur les conservateurs irréconciliables ou les conservateurs ralliés, sur la pacification dans la république, ce n’est pas ce qu’il y a de plus grave ni même de nouveau. Les partis vivent de disputes auxquelles le pays reste souvent étranger, — et les plus extrêmes sont naturellement les plus acharnés, parce qu’ils sont les plus intéressés à prolonger les guerres intestines, parce qu’ils se sentent le plus menacés par la moindre apparence d’un apaisement des opinions ou des passions. Le mouvement ne suit pas moins son cours à travers les batailles de plume ; il s’accentue par les contradictions et les résistances, par une élection, par les discours, — et les polémiques recommencent, dès que survient quelque incident nouveau révélant les progrès de ce travail qui s’accomplit. C’est M. le marquis de Breteuil qui aura eu cette fois la fortune de mettre le feu à ces polémiques désespérées, par une lettre où il donne sa démission de député et où il explique les motifs de sa résolution. L’acte par lui-même ne manque pas d’une certaine crânerie. M. de Breteuil ne marchande pas avec la réalité des choses. Il convient sans subterfuge que tout lui semble changé depuis quelque temps dans l’état du pays, qu’il croit ne plus répondre aux vœux et aux opinions de ceux qui l’ont élu. Il avoue sans embarras que si l’on pouvait se faire quelque illusion tant que les conservateurs pouvaient compter sur la clientèle catholique, tant que la cause religieuse restait confondue avec la cause monarchique, cette illusion n’est plus possible depuis que le pape a parlé et a si hardiment dégagé l’église de toutes les solidarités politiques. Il ajoute enfin qu’à cette situation nouvelle il faut des hommes nouveaux, moins engagés, moins compromis par leur passé, — et par un sentiment de dignité personnelle, comme par un sentiment d’intérêt public, il remet son mandat à ses électeurs du petit arrondissement d’Argelès, dans les Pyrénées. Il se retire sous sa tente, en homme persuadé qu’il ne représente plus qu’un regret stérile ou une vaine espérance !

Cette curieuse lettre de M. de Breteuil a visiblement mis quelque désarroi dans le camp de la droite ou du moins parmi les irréconciliables à outrance, qui ont aussitôt rouvert le feu de leurs polémiques contre celui qui, la veille encore, était leur allié ou leur complice. Les uns ont affecté de n’attacher aucune importance à cette démission un peu bruyante d’un homme qui, à leur dire, ne comptait pas dans leurs conseils ; les autres ont traité le député d’Argelès en défectionnaire