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REVUE LITTÉRAIRE




LA STATUE DE BAUDELAIRE.






À qui se fier, je vous le demande, ô compagnons de la vie nouvelle, et sur qui compterons-nous désormais, si M. Paul Desjardins lui-même fait défaut à la cause du « devoir présent ? » Lorsque j’ai lu quelque part qu’il était question d’élever un buste, ou une statue tout entière, — là-haut, devers l’Élysée-Montmartre ou du côté du Moulin-Rouge, — à Charles Baudelaire, je n’ai rien dit, et j’attendais, comme tout le monde, la généreuse protestation de M. Desjardins. Il me semblait qu’en effet il nous en devait une, ou même deux, en sa double qualité d’ouvrier du « devoir présent, » et de professeur de rhétorique. Comme professeur de rhétorique, il ne se peut pas, me disais-je, qu’une Charogne, ou le Voyage à Cythère n’offensent ou ne révoltent la délicatesse de son goût. Mais, comme ouvrier du « devoir présent, » quelle sera donc cette « littérature infâme, » qu’il avait pris l’engagement de combattre, si ce n’est celle à laquelle appartiennent une Martyre ou les Femmes damnées ? Cependant, il a gardé jusqu’ici le silence, et j’en cherche vainement les raisons. Est-ce que peut-être il se réserve pour le jour de l’inauguration ? ou n’a-t-il jamais lu Baudelaire ? ou attend-il à intervenir que l’on ait proposé de dresser sur la place publique, dans une attitude analogue à leurs œuvres, la statue de Restif de La Bretonne, ou celle de Casanova ?

Mais, en ce cas, qu’il nous pardonne alors d’être moins ambitieux, ou moins dégoûtés que lui ! Assurément, il l’eût mieux dit lui-même, — avec plus de pleurs dans la voix, et je ne sais quoi de plus navré, de plus abandonné, de plus démissionnaire dans toute sa personne, — mais en-