d’ailleurs, dans ces plaines unies, où construirait-on des réservoirs ayant quelque élévation ? Il faut donc chercher à contraindre la nature, il faut chercher à obtenir artificiellement ce qu’elle ne veut point nous donner de son propre gré, la pluie. Avec la pluie, ce qui ne vaut rien et ne rapporte rien aujourd’hui deviendra demain une source de richesses incalculables. »
Parler ainsi, c’est parler d’or, et nul n’ignore la fascination qu’exerce l’almighty dollar. Le gouvernement, frappé de la justesse de ces vues, et voyant qu’elles tendaient à des choses pratiques et sérieuses, invita donc son interlocuteur à continuer ; ce qu’il fît. « C’est donc le secret de la pluie artificielle qu’il nous faudrait : nous voudrions faire la pluie et le beau temps à volonté. Est-ce possible ? Là est toute la question. Ce n’est pas d’aujourd’hui que vous avez entendu parler de pluie artificielle. On vous a maintes fois dit que la pluie est le résultat de la condensation, — par le froid, — des vapeurs d’eau suspendues dans l’atmosphère. L’eau de l’Océan-Pacifique, sous les rayons du soleil, s’élève en vapeurs dans l’atmosphère comme le fait l’eau de la bouillotte sur le feu ; ces vapeurs forment les nuages, que le vent transporte par-dessus notre pays. Arrivés à la côte de l’Atlantique, ces nuages rencontrent des courans d’air froid descendant du pôle, et le refroidissement des nuages se traduit par de la pluie. Et voilà pourquoi nos frères de l’est ont de l’eau, tandis qu’il nous faut nous contenter, dans l’ouest, de voir passer les nuages à notre barbe : voilà pourquoi ils sont riches, — les frères de l’est, — et nous pauvres.»
« Mais vous ne songez sans doute pas à changer l’itinéraire du courant polaire ? » fît le gouvernement, qui pensait vaguement, et avec quelque effroi, qu’on ne changerait pas les habitudes du courant en question sans des argumens coûteux. — « Non, assurément ; j’ai autre chose en vue. Avez-vous lu les classiques ? Eh bien, Plutarque raconte des choses fort intéressantes : il rapporte que, de son temps, — et avant lui, — les grandes batailles étaient communément suivies de pluies… » Fallait-il donc de nouvelles guerres pour obtenir l’eau nécessaire aux agriculteurs ? Et par quel mécanisme y avait-il corrélation entre la pluie et les batailles ? Cela n’était point clair. — Le général expliqua sa pensée : « — Figurez-vous dix mille Grecs partant en guerre contre cent mille Perses, Tout ce monde crie et hurle ; on frappe sur les boucliers, les chants de guerre retentissent, les armées se heurtent… et il pleut ! Rappelez-vous les pluies qui ont suivi Waterloo… Rappelez-vous la formidable canonnade de cette journée… » — « Oui : mais les Grecs et les Perses n’avaient point de canons, si j’en crois l’histoire… » — « Non, ils n’en avaient pas, mais le fracas des, armes, les cris des