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de guerre et d’exclusion. Il s’est bien gardé de voir dans l’intervention du pape un péril, — l’éternel péril clérical ! Il y voit au contraire un gage d’apaisement répondant aux vœux de « cette grande masse du suffrage universel rural. « Il n’a point hésité à se prononcer une fois de plus, justement dans l’intérêt d’une pacification nécessaire, contre la séparation de l’Église et de l’État, qu’il ne croit ni « mûre, ni désirable, ni possible. » Tout ce qu’il demande, c’est que le prêtre reste dans son église et qu’on ne fasse pas de la chaire une tribune politique ; mais c’est ce que le pape lui-même demande, et on peut dire comme l’ancien président du conseil : où est le mal ? où est le péril ? M. Jules Ferry, d’un autre côté, se prononce vivement et même avec une assez généreuse éloquence contre les divisions des partis qui sont une cause d’affaiblissement pour la patrie. « Une nation travaillée par des factions haineuses ou par des guerres de classes a beau être riche, puissamment armée, a-t-il dit à ses Vosgiens, elle ne peut avoir toute sa force morale. Elle porte en elle-même un principe de ruine. Unissons-nous donc, apaisons-nous, mêlons les esprits et les cœurs… » Rien de mieux, rien de plus patriotique assurément, mais c’est là le langage que ne cessent de tenir les modérés, les constitutionnels. Entre tous ces candidats qui viennent de dire leur mot aux élections, entre les républicains d’hier et les républicains d’aujourd’hui ralliés aux mêmes institutions, où est la différence ? Ils sont divisés par leur passé, peut-être par des suspicions invétérées ; ils sont rapprochés, qu’ils le veuillent ou non, par le sentiment commun d’une nécessité supérieure.

Qu’est-ce que tout cela signifie, si ce n’est qu’on est dans une phase de transition dont le dernier mot est loin d’être dit et que nous entrons dans une situation évidemment |encore obscure et indécise, mais où il y a tous les élémens de combinaisons, d’alliances nouvelles ? La difficulté est de rassembler et de coordonner ces élémens, de dégager de cette situation encore confuse une force suffisante pour redresser et relever avec fermeté la politique de la France ; mais c’est là, précisément, la question ! Il faudrait un gouvernement pour prendre la direction, pour jouer au moins son rôle dans le mouvement des opinions, et ce qui a manqué le plus jusqu’ici, c’est un gouvernement. Ce n’est peut-être pas la faute des hommes. Il y a eu sans doute au pouvoir, à travers bien des personnages de hasard, des hommes éclairés, bien intentionnés, qui auraient pu être dans d’autres temps des ministres habiles et ont manié le mieux qu’ils ont pu, quelquefois avec art, les affaires du pays. Il n’y a pas eu de vrai gouvernement, et le gouvernement a manqué parce qu’il a été le plus souvent sans force morale, sans direction et sans appui dans les confusions de parlement, parce qu’il s’est trouvé presque toujours dans des conditions violentes ou artificielles faussées par le jeu des partis. Depuis plus de dix ans,