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perpétuellement agité. On a laissé toutes les perspectives ouvertes devant elle. On lui a promis des restaurations toujours fuyantes et plus que jamais reléguées maintenant dans un lointain nuageux et insaisissable. On l’a excédée de vaines tentatives, de manifestes, d’expédiens, et même d’aventures plus qu’équivoques, d’alliances qui auraient pu devenir avilissantes. On n’a réussi qu’à la désabuser : elle a fini par s’en tenir à la république qui existait, qui avait pour elle la durée, les instincts de démocratie toujours si vivaces. La lassitude est, elle aussi, un élément de conviction chez un peuple qui ne vit pas de subtilités et de regrets.

On s’est fatigué d’une opposition impuissante à un régime qui avait déjà subi plus d’une épreuve ; et une autre raison qui n’a pas peu contribué sans doute à rattacher le pays aux institutions nouvelles, à hâter le mouvement, c’est l’intervention à la fois si profondément réfléchie et si hardie du pape, du chef des consciences catholiques. Le pape, dit-on, n’a ni droit ni autorité pour se mêler de nos luttes intestines, du choix du meilleur régime en France. Cela se peut : il a dans tous les cas le droit de s’inspirer des intérêts de l’Église. Le grand vieillard du Vatican, qui ne recule pas devant les problèmes les plus délicats ou les plus épineux, a jeté un regard perçant et ferme sur les affaires de son temps, particulièrement sur les affaires de la France. Il a cru voir que la cause religieuse n’avait plus rien à gagner à se confondre avec la politique, à s’identifier avec la cause des dynasties, des institutions du passé, à partager la fortune des partis de combat, — et il n’a plus hésité, et il a rompu le lien par son encyclique, par ses lettres réitérées. La république, soit, qu’à cela ne tienne ! a-t-il dit. Et d’une parole décisive, sans se laisser troubler ni embarrasser par les réserves des cardinaux, par l’humeur un peu batailleuse de quelques prélats trop prompts à se jeter dans toutes les mêlées, il a nettement pressé les évêques, les catholiques de France de cesser le feu contre le régime, d’entrer à leur tour dans la république. Les déclarations pontificales ont eu une influence peut-être plus sérieuse encore qu’on ne le croit, une influence qui est loin d’être épuisée. Elles ont mis, cela n’est pas douteux, une certaine confusion dans l’armée conservatrice, désormais divisée en deux camps, le camp des irréconciliables obstinés et le camp des indépendans disposés aux conciliations possibles ; elles ont rendu la liberté à ceux qui mettent les intérêts religieux au-dessus des intérêts de parti et ne se croient plus obligés de combattre la république ; elles ont d’avance brisé entre les mains des radicaux, des sectaires endurcis, une arme dont ils pourront assurément se servir encore, mais qui ne sera plus qu’une arme émoussée. Le pape Léon XIII aura été, lui aussi, à sa manière, un grand électeur ; il peut du moins avoir dissipé bien des incertitudes et décidé