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pour le public de l’Ambigu ; et, à certaines heures, chacun de nous a sa fringale d’Ambigu. On va la contenter chez Marbot, chez Vitrolles, et présentement dans les Mémoires du baron Hyde de Neuville. Avec la publication du troisième volume, une main pieuse et intelligente vient d’achever ce monument de famille. Il en est de plus hauts, qui abritent des morts plus imposans et plus illustres ; je n’en sais pas un plus curieux, et qui garde des os plus moulus par l’aventure.


I

C’est bien le roman d’un conspirateur, la vie de cet enragé qui, durant une période ininterrompue de quinze années, a conspiré, conspiré, conspiré. Sans compter les revenez-y, sur le tard, quand des temps plus calmes lui offraient encore une occasion. Une nuit qu’il traversait la Manche dans une barque avec George Cadoudal, comme il dormait, roulé dans son manteau, l’intrépide Breton le réveilla : « Il se souleva sur le coude, et, m’appelant de sa forte voix : — Hyde de Neuville, me dit-il, savez-vous ce que nous devrions conseiller au roi, s’il remonte sur son trône ? — Non, mon ami. — Eh bien ! reprit-il, nous lui dirons qu’il fera bien de nous faire fusiller tous les deux, car nous ne serons jamais que des conspirateurs, le pli en est pris ! » — Ce mot pourrait servir d’épigraphe au livre. C’est aussi l’histoire d’un fort honnête homme, dévoué à ses principes, plein de sens et de modération dans la maturité de l’âge. C’est enfin du meilleur Ambigu, puisque le héros, échappé par miracle à d’innombrables périls, survivant aux criminels et aux traîtres qu’il avait combattus, finit ses jours dans la considération due à un citoyen vertueux et sensible, comme on eût dit de lui au temps de sa prime jeunesse.

Issu d’une famille d’émigrés anglais, établie dans le Nivernais, Guillaume Hyde de Neuville était né en 1776, à la Charité-sur-Loire. Il n’avait pas seize ans quand il vint se dégourdir à Paris, en 1790. N’ayant pas connu l’enthousiasme généreux de ses pareils, à l’aube de la Révolution, il la trouvait déjà rougeoyante dans un ciel assombri. A sa première visite à l’Opéra, la reine entre dans la salle ; des patriotes affectent de rester couverts devant elle, une rixe naît ; le jeune Hyde se précipite sur Ducos et arrache le chapeau du girondin ; on le dégage à grand’peine, comme il allait être écharpé. Quelques jours après, il se prend de querelle avec Théroigne de Méricourt sur la terrasse des Feuillans ; le petit