Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 112.djvu/901

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’heure : il en avait assez. Alors il appela son karavanbachi, lui dit de prendre tout cela pour lui ; il ne s’en inquiéta plus jamais.

Ayant vu un jour, sur un prospectus, une locomobile, il voulut à tout prix en voir une, et voilà cavaliers de courir porteurs d’ordres pour qu’on amenât à Khiva cette machine. Elle arriva enfin ; ce fut à la cour un grand émoi. La joie du khan n’avait plus de bornes : On fit marcher la locomobile. Le khan tout joyeux se met debout sur la machine, il la regarde de tous côtés. Elle siffla, et tous furent au comble de la joie. Alors, gravement, il fit éteindre le feu et regarda dedans comment c’était fait, puis il appela le karavanbachi, lui dit d’emporter la machine, et il n’en fut jamais question. Le khan s’était diverti une demi-heure.

Mais laissons ces racontars et tâchons de décrire l’entourage du khan, la cour khivienne. Nous avons déjà dit un mot du cadre dans lequel elle se meut, du palais, de ces étroits couloirs, de ces cours oblongues.

Il y a six principaux courtisans, ou, si vous voulez, six ministres : 1° le divan-bégui ou premier ministre, Mohamed-Mourad, d’origine afghane, homme de haute taille, parlant un peu le russe. Il possède une immense fortune et une grande partie des terres du khanat lui appartient ; 2° le mirza-bachi, chancelier ; 3° le grand-prêtre Seïd-Abd-Allah-Khodja, parent du khan ; il est chargé d’acheter les chevaux, et est comme un ministre de la guerre ; 4° le kouch bégui, chargé de l’entretien de l’irrigation ; 5° et 6° deux yéçaoul-bachi, chargés d’exécuter les ordres du khan. L’un d’eux est toujours au palais, l’autre à Pétro-Alexandrof, auprès du général Rasgonof, et a un traitement de 100 tellas par mois. Enfin, un des grands personnages est le karavanbachi, chef des marchands. C’est lui qui introduit aujourd’hui dans le khanat, pour l’usage personnel du souverain, les caisses de Champagne et de vins fins. Ajoutez à cela une foule de courtisans meublant les antichambres, ayant des titres, remplissant des simulacres de fonctions.

Mais ce qu’il y a à remarquer, c’est, dans tous les coins et recoins du palais, l’absence complète de papiers, d’archives, etc. Ces gens sont dans le palais sans rien faire, accroupis sur des tapis, causant de temps en temps, buvant du thé, assoupis et somnolons[1].

Les principaux personnages, premiers courtisans et proches

  1. Le khan ne paie aucun employé, aucun fonctionnaire de grade quelconque. Aux principaux personnages, il leur donne la charge de récolter, moyennant le paiement d’une somme déterminée, les impôts de tel district ; on ne sait si le trésor reçoit bien les sommes qui lui sont dues, mais le fonctionnaire, chargé de faire la perception, ne perd jamais d’argent en cette occurrence, la plupart font là une spéculation heureuse.