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seulement, quand l’ouvrage pressait trop, de quelques ouvriers de passage. Sans doute, les pauvres gens n’auraient pas demandé mieux que de travailler dans un appartement plus grand. Mais ils n’avaient pas le moyen d’en payer le loyer. L’acte de 1878 demeurait donc lettre morte dans les ateliers et la commission constatait avec douleur que dans un trop grand nombre de maisons à Londres et aussi dans les autres grandes villes industrielles, hommes, femmes, enfans, travaillaient dans des bouges, dens (c’est le mot qui revient souvent dans la bouche des déposans), et dans des conditions contraires à la fois à l’hygiène et à la décence, entassés les uns sur les autres au point d’avoir à peine la place matérielle pour travailler, respirant un air empesté et condamnés à des promiscuités qui ne pouvaient qu’affaiblir, chez les femmes et les jeunes filles, le sentiment de la pudeur (decency). La comparaison entre les ateliers et les manufactures était à ce point de vue tellement à l’avantage des manufactures, qu’un inspecteur n’hésitait pas à conseiller comme remède, à Londres du moins, la création dans le quartier de l’East-End de gigantesques manufactures où seraient exercées les principales industries du quartier et l’interdiction du travail dans les ateliers.

Mêmes constatations douloureuses en ce qui concernait la durée des heures de travail. Des dépositions recueillies par la commission est résultée la preuve que dans certaines industries, en particulier dans la confection des vêtemens à bon marché, les heures de travail étaient prolongées au-delà de ce que peuvent véritablement supporter les forces humaines. Ce n’est pas seulement douze, c’est quatorze, c’est quinze, c’est parfois seize ou dix-sept heures que travaillaient les ouvriers et les ouvrières employés soit en commun, soit séparément dans les petits ateliers de tailleurs ou à la confection des chemises. Ici, il y avait encore, au moins pour la femme, violation manifeste de l’acte de 1878. Mais cette violation s’expliquait par les mêmes motifs que celle des dispositions relatives à l’hygiène des ateliers. Pour que les dispositions relatives à la durée des heures de travail fussent observées, il aurait fallu que dans chaque atelier fût tenu un registre d’entrée et de sortie des femmes. Or de ces malheureux petits patrons qu’on s’obstinait à désigner sous le nom de sweaters, celui qui fait suer, et qui suaient eux-mêmes autant que leurs ouvriers et ouvrières, beaucoup ne connaissaient même pas l’existence de cet acte ni l’obligation qui s’imposait à eux. Ils travaillaient personnellement jusqu’à la limite de leurs forces, eux, leurs femmes, leurs enfans, les ouvrières employées par eux, et celles-ci auraient été les premières à se plaindre si, en vertu des dispositions d’une loi à elles inconnue, elles avaient été