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qui, l’arme au poing, ont dévasté Merv, Méched, et qui se repliaient derrière leurs vastes steppes. Les fatigues qu’il faut endurer pour la traverser, les maladies, les dangers, tous ces auxiliaires de la puissance khivienne, n’ont pu les sauver de l’invasion russe. Ils sentent désormais que tout effort serait vain, toute tentative infructueuse, et, confians dans leur fanatisme, ils attendent en paix qu’Allah leur donne de nouveau la fortune des combats.

En dehors des murs, les cimetières, d’immenses cimetières où la richesse s’étale en somptueux édifices. Un tombeau de riche Khivien comprend une ou plusieurs cours entourées de murs. Au fond, une mosquée. Sur les côtés, de petites chambres vides. Près de la porte, de hautes perches de bois ayant à leur sommet des queues de cheval. Les tombes ordinaires consistent uniquement en un massif oblong de maçonnerie de coupe triangulaire. Ces cimetières aux teintes de boue séchée présentent un assez triste aspect et occupent tout un côté des remparts.

Grand, le teint sombre, yeux noirs, barbe épaisse, le type khivien ne nous change point du type bokhariote. C’est toujours le faciès du sédentaire de l’Asie centrale, du Sarte. Mais n’allez point surtout les appeler de ce nom. Nous sommes Uzbegs, disent-ils, et sans doute ils le sont pour la plupart, mais avec plus ou moins de sang persan dans les veines.

Car les nombreux esclaves qu’ils allaient enlever jusqu’en Perse et qu’ils ramenaient dans leur pays ont un peu altéré la pureté de la race. Cependant le type uzbeg s’est conservé plus pur qu’à Bokhara. C’est dans quelques coins du pays, dans quelques hameaux isolés que le hasard de la route permettra de voir une face aux yeux étroits et bridés, aux pommettes saillantes, à la barbe rare, rappelant le type mongol.

Les Uzbegs de Khiva sont aussi intelligens que leurs compatriotes de Bokhara, de Kokan ou de Tachkend ; mais leur isolement au milieu de la steppe, la difficulté des moyens de communication, le despotisme de leurs khans, tout a contribué à développer en eux l’esprit de routine. Aussi sont-ils fort attachés à leurs coutumes. Le fils fait ce que faisait le père. Un fils de menuisier est menuisier, un fils de sellier fera des selles avec le même procédé de fabrication, et il leur paraîtra étrange qu’il y ait quelque modification possible à apporter dans leurs outils. L’idée de changement, d’amélioration, leur est inconnue. On trouvera dans les autres villes du Turkestan, à Tachkend, à Kokan, à Samarcande, les mêmes idées, la même lenteur à modifier, au contact des Russes, leurs coutumes primitives de travail, et leurs procédés. Mais, dans la vallée du Sir-Daria que nous avons ici en vue, l’influence russe s’est fait sentir ; le commerce s’est développé, et l’amour du gain,