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l’ouvrière à l’aiguille. Ce fut un journal médical, the Lancet, qui le premier donna l’alarme. Se plaçant au point de vue spécial de l’hygiène, qui joue, comme on le sait, un grand rôle dans les préoccupations anglaises, un rédacteur de ce journal signala à Londres même, dans un des quartiers les plus populeux, l’existence d’un grand nombre d’ateliers fétides, malpropres, mal éclairés, où s’entassaient pêle-mêle ouvriers et ouvrières, et cela non pas seulement pendant la journée, mais encore pendant une partie de la nuit. Ces ateliers n’étaient généralement que des arrière-boutiques, ou même des chambres d’habitation où le patron, aussi pauvre que ses ouvriers, travaillait, avec sa famille, dans des conditions aussi déplorables qu’eux. L’acte de 1878 contenait bien une série de dispositions excellentes sur l’hygiène des ateliers, mais sans compter que d’une part la difficulté de la surveillance, de l’autre l’extrême misère de ces petits patrons, opposaient des difficultés invincibles aux efforts des inspecteurs ; il y avait une cause d’insalubrité que la loi ne pouvait empêcher, c’était l’entassement dans ces arrière-boutiques et dans ces chambres d’ouvriers et d’ouvrières ayant à peine la place nécessaire pour se mouvoir et pour travailler. Ces ateliers créaient, au dire du journal médical, des foyers d’infection permanens dans la métropole : les maladies contagieuses s’y développaient avec une rapidité effrayante, et leur existence était un danger permanent pour la santé publique.

La question hygiénique ainsi soulevée par le Lancet ne tarda pas à devenir une question économique. A quelle profession appartenaient ces malheureux, patrons aussi bien qu’ouvriers ? Que gagnaient-ils ? Pourquoi étaient-ils si misérables ? Toutes ces questions, qui naissaient en quelque sorte les unes des autres, commencèrent à passionner l’opinion publique et firent l’objet d’une sorte d’enquête générale qui fut d’abord conduite par la presse. De cette enquête il résulta que le Lancet n’avait dit que trop vrai et qu’une portion considérable de la classe ouvrière de Londres travaillait effectivement dans des conditions aussi déplorables au point de vue de l’hygiène qu’au point de vue des salaires, menant une existence misérable et gagnant à peine de quoi suffire aux plus stricts besoins de la vie. C’était la profession de tailleur et de couturière dans la confection des vêtemens à bon marché qui semblait offrir le plus grand nombre de victimes. Mais d’autres professions payaient leur tribut. Londres semblait la ville la plus éprouvée ; mais des grands centres manufacturiers de l’Angleterre s’élevaient également des plaintes dont la presse de province apportait les échos. Les révélations succédaient aux révélations,