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femmes majeures soit l’objet d’une réglementation qui limite à dix heures par jour ou soixante heures par semaine la durée de leur travail. Ces lois sont-elles observées ? On peut se le demander, car bien souvent les états qui ont voté des mesures de cette nature ont négligé de créer en même temps les corps d’inspecteurs nécessaires pour en assurer l’exécution. Parfois il arrive que les lois protectrices des travailleurs, celles entre autres qui limitent la journée de travail, sont votées dans une pensée politique et dans une vue de popularité, à la veille d’une élection ; mais elles demeurent à l’état de lettre morte et ne sont jamais sérieusement observées. C’est en particulier ce qui est arrivé dans l’état de New-York pour une loi qui limitait à dix heures le travail des hommes, mais de l’application de laquelle aucun gouvernement ne s’est jamais inquiété. D’une façon générale, on peut dire qu’il n’y a que le travail des enfans qui soit réglementé d’une façon efficace dans un assez grand nombre d’états. Quant au travail des adultes, hommes et femmes, il est absolument libre, et c’est là ce qui explique que dans l’enquête si complète que je viens d’analyser, il n’y ait pas trace d’un renseignement sur la législation du travail. Nos enquêteurs, en gens pratiques, ne se sont pas préoccupés d’une législation qui, dans les rares états où elle existe, demeure lettre morte. C’est donc sous le régime d’une liberté absolue que l’ouvrière américaine en est arrivée à jouir d’une condition économique qui est incontestablement très supérieure à celle de l’ouvrière française. Avant de tirer quelque conclusion de ce fait, cherchons à nous faire une idée des conditions dans lesquelles travaille l’ouvrière anglaise.


II

Il s’en faut que, pour étudier la condition industrielle et sociale des femmes en Angleterre, nous ayons à notre disposition des renseignemens aussi complets qu’aux États-Unis. En revanche, rien n’est plus facile à connaître que la législation sous le régime de laquelle elles travaillent. Cette législation, qui avait été maintes fois remaniée depuis le commencement du siècle, a été condensée et codifiée en 1878 dans une loi importante intitulée : the Factory and workshop act : loi sur les usines et les ateliers. Cette loi, qui a en même temps résumé et abrogé quinze lois antérieures, est un véritable code industriel. Depuis quatorze ans qu’elle fonctionne, elle n’a subi que d’insignifiantes modifications. Je n’entreprendrai pas de résumer ici les dispositions très minutieuses contenues dans les cent sept articles qui composent cette loi. Je me bornerai à en extraire celles qui concernent le travail des femmes.