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connaissance profonde et intelligente des lois… » Le fait est que l’assemblée nationale était unanime, on peut le dire, à en vouloir le maintien. Il s’agissait seulement de dégager cette juridiction des élémens hétérogènes et parasites qui ne pouvaient que l’entraver, l’altérer et la compromettre. Or le conseil d’État statuant au contentieux en réunion plénière, c’était proprement une cohue. Un changement s’imposait. Comme toujours, on se jeta dans l’excès contraire.

J’avoue, d’ailleurs, être peu touché de certaines critiques, à mon sens, fort exagérées dont le nouveau système fut alors l’objet. On lui reprochait notamment de supprimer dans l’examen des litiges un deuxième degré, — la délibération de l’assemblée générale qui prononçait sur les conclusions de la section, — et, par suite, d’enlever aux justiciables une précieuse garantie. On craignait que certaines affaires particulièrement délicates fussent moins bien jugées, n’ayant plus à subir cette épreuve de l’assemblée générale où, comme l’affirmait M. Reverchon, « grâce à la diversité des lumières et des points de vue, aucun intérêt ne manquait de défenseur, aucune face du litige ne passait inaperçue[1]. » On reprochait, en second lieu, à la nouvelle organisation de reléguer derrière une muraille de Chine la section du contentieux qui, se trouvant ainsi privée d’air et de lumière et ne communiquant ni avec l’administration, ni avec les autres fractions du conseil, risquait à la longue de perdre le sens pratique de la réalité. On oubliait que les membres de cette section étaient si peu séparés de leurs collègues des autres sections qu’ils les retrouvaient périodiquement aux séances de l’assemblée générale et là se retrempaient dans le vif courant des affaires.

Cette critique, en revanche, s’appliquait justement à la disposition malencontreuse qui avait exclu du conseil les représentans des ministères. Là aussi il y avait eu une réaction contre les abus des régimes précédens. Mais là aussi, là surtout, on corrigea un mal par un autre. L’article 53 de la loi permettait bien, à l’occasion, de convoquer les chefs des services intéressés pour en obtenir des explications techniques ; mais ils n’étaient plus admis à siéger ; ils ne prenaient plus part aux délibérations. C’était une lourde faute que de murer les fenêtres de ce côté ! On méconnaissait l’une des conditions d’existence, l’une des raisons d’être du conseil d’État ; je veux dire l’alliance de la pratique et de la doctrine, du fait et du droit, et le mutuel concours que se prêtent les administrateurs et les juristes. Aux uns et aux autres on retirait un principe de vie.

Mais la faute la plus grande avait été de faire du conseil d’État

  1. Lettre à un représentant sur le projet de loi, par un ancien auditeur, 1849.