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le législateur de 1849 est allé moins loin que les auteurs du projet de 1848. Il ne dépouille pas le conseil de ses attributions juridiques pour les transférer à une cour administrative. « En réalité, dit M. Ed. Laferrière, la loi créait ce tribunal, mais elle le plaçait au sein du conseil d’Etat, sans le confondre avec lui[1]. » La section du contentieux fait toujours partie du conseil. Mais cette union semble bien près de n’être que nominale ; la section du contentieux a sa vie propre ; ses neuf conseillers forment un tribunal indépendant. Son rôle, jusque-là, se bornait à instruire les affaires et à préparer les avis qui étaient soumis ensuite à la sanction de l’assemblée générale et à la signature du chef de l’État. Désormais, au contraire, ses décisions sont exécutoires de plano, sans l’intervention de l’assemblée générale et sans que le gouvernement les prenne à son compte en les promulguant. La délégation, on le voit, est complète.

Cette transformation de l’ancien comité du contentieux en une véritable compagnie judiciaire n’était point une conception neuve. Dès 1829, elle figurait dans un programme de réformes que les événemens politiques empêchèrent le ministère Martignac de réaliser. Elle reparut, après 1830, dans plusieurs des multiples projets de loi qui furent tour à tour étudiés. En 1841, M. Vivien écrivait : Mon avis est qu’un comité seulement, et non le conseil entier, connaisse du contentieux. Dans l’état actuel, les trente conseillers d’État y prennent part ; aucun tribunal, aucune cour ne siège habituellement en tel nombre. La cour de cassation rend ses arrêts avec le concours de onze membres, les cours royales avec celui de sept seulement. Les affaires contentieuses, malgré leur importance, n’exigent pas la réunion de tant de juges. Il ne faut pas croire que la bonté des arrêts tienne au nombre de ceux qui les rendent[2]… » M. Crémieux, en 1848, disait pareillement : « Je demande qu’un comité spécial juge en dernier ressort, comme tribunal administratif supérieur, tout le contentieux de l’administration[3]. » M. Crémieux, en même temps, décernait à la juridiction du conseil cet éloge d’un témoin peu suspect : « Je déclare à l’assemblée, par expérience, par certitude, que cette justice contentieuse est une très bonne justice, qu’elle est rendue avec le plus grand soin, avec le plus grand esprit d’ordre, d’équité, d’impartialité, avec une

  1. Traité de la juridiction administrative, t. Ier.
  2. Dans la Revue du 15 novembre 1841. — M. de Cormenin avait soutenu la même opinion. Voir notamment ses Questions de droit administratif, édition de 1837, t. Ier, p. 56.
  3. Séance du 13 octobre 1848. — M. Crémieux avait été avocat au conseil d’État et à la Cour de cassation.