Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 112.djvu/790

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Rœderer, avec sa concision tranchante, définit en perfection l’idée maîtresse de la loi de pluviôse, née d’une sorte de fusion des deux systèmes antérieurs. Qu’est-ce, à y bien regarder, que le préfet qu’elle institue, sinon l’intendant de Richelieu et de Colbert, moins la fonction juridictionnelle[1] ? Et dans le conseil de préfecture qu’elle place à côté du préfet ne retrouve-t-on pas le directoire de département créé naguère par la constituante, mais un directoire qui ne dirige plus, réduit au rôle de corps délibérant et aux attributions contentieuses ?

Le même procédé se révèle dans l’institution du conseil d’État, tel qu’il fut établi, en vertu de l’article 52 de la constitution du 22 frimaire an VIII, par l’arrêté du 5 nivôse suivant. Ici toutefois le premier consul n’a guère fait que reprendre le vieil instrument de règne, l’accommodant à son usage et à l’esprit des temps nouveaux. Or, cet esprit exigeait malgré tout que l’on remaniât en plus d’un point l’organisation et les attributions même, les attributions surtout de l’ancien conseil monarchique. Sans doute le césarisme dont Napoléon jetait les bases égalait en autocratie l’absolutisme de droit divin de Louis XIV. Mais la révolution, depuis douze ans, avait nourri les Français dans cette illusion qu’ils pouvaient tout attendre de la vertu des lois, du jeu savant des constitutions, et de cette ingénieuse pondération des pouvoirs politiques, qui sont réputés se faire équilibre quand ils se font échec les uns aux autres. Il importait d’amuser la nation par ce spécieux décor, et, supprimant la liberté, d’en conserver au moins l’innocent simulacre. Aussi les auteurs de la constitution de l’an VIII eurent-ils grand soin de faire honneur aux principes, en procurant avec une louable symétrie la séparation des pouvoirs. Et ils multiplièrent les assemblées, comme pour mieux donner le change : sénat, corps législatif, tribunat ; jamais, je le crois, on n’opposa tant de fragiles barrières au despotisme que dans cet acte qui le faisait revivre.

Il est clair que, dès lors, le conseil d’État restauré ne pouvait être, comme au temps de la monarchie, officiellement chargé de faire seul les lois. En apparence, il n’eut mission que de les préparer, et les autres corps y participèrent, le tribunat pour les discuter, le corps législatif pour les voter, le sénat pour les vérifier au point de vue constitutionnel. Mais le tribunat discutait sans voter, le corps législatif votait sans discuter, le sénat ne discutait ni ne votait. C’est, en réalité, le conseil d’État qui fit tout, — et

  1. Une disposition non encore abrogée de la loi de pluviôse confère, il est vrai, au préfet la présidence du conseil de préfecture, et cela même pour les séances où le conseil statue au contentieux ; mais, dans la pratique, le préfet ne les préside jamais.