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les provinces, qu’ils parcouraient naguère en « chevauchées. » Ils y exercent, sous la dénomination de commissaires départis ou d’intendans, la juridiction qui est aujourd’hui dévolue aux conseils de préfecture ; mais avant tout ils sont les instrumens de l’autorité centrale, qu’ils personnifient. Les intendans et leurs « subdélégués » sont les préfets et sous-préfets de l’ancien régime.

La maîtrise est alors devenue une charge vénale et héréditaire. Le temps est loin où les deux maîtres des requêtes à la suite du roi Jean recevaient, par jour, chacun 24 sous parisis. Ces précieux offices s’achètent, sous Louis XIV, jusqu’à 200,000 livres, et, à cette époque, on ne compte pas moins de quatre-vingts titulaires. Mais aussi la maîtrise est la route qui mène aux grands emplois. Ses membres, au XVIe siècle, sont premiers présidens de la chambre des comptes, comme Jean Nicolaï, ou comme L’Hospital ; au XVIIIe, deux maîtres des requêtes se succèdent comme ministres de la guerre. (Voir l’Almanach royal des années 1718 et 1723.) La liste est longue des personnages célèbres qui ont ainsi traversé la maîtrise, depuis Guillaume Budé, le savant helléniste de la Renaissance, jusqu’à Turgot[1]. Dans les premières années de la restauration, il y eut encore des conseillers à la cour de cassation qui, par un dernier vestige de l’antique confusion des pouvoirs, étaient aussi maîtres des requêtes. Enfin dans la maîtrise se recrutaient les conseillers d’État ; ce qui faisait dire, non sans esprit, au chancelier d’Aguesseau : « Les maîtres des requêtes sont comme les désirs du cœur humain : ils aspirent à n’être plus ; c’est un état que l’on n’embrasse que pour le quitter… » Mais revenons à leurs obscurs débuts ; revenons au moyen âge et à la « cour du roi. »

Dans cette société plus qu’à demi barbare, où le pouvoir central était réduit à rien, la cour du roi représentait ce qui restait encore de gouvernement. Puis, quand la royauté grandit, cette cour du roi fut l’instrument de réforme et de règne. Mais elle devait éprouver le sort commun à la plupart des institutions, qui, en se développant, se divisent. Au commencement du XIVe siècle, elle ne suffisait plus à sa tâche croissante. Alors le phénomène ordinaire s’accomplit : elle se morcela. Une fraction s’en détacha pour former une institution purement judiciaire, de plus en plus distincte et indépendante, le parlement. En même temps, une autre branche devenait la chambre des comptes, dont notre cour des comptes est l’héritière. Et ce qui subsista de la cour du roi ainsi démembrée

  1. Le Conseil d’État avant et depuis 1789, ses transformations, ses travaux et son personnel, par M. Léon Aucoc, 1876. — La Justice administrative en France, ou traité du contentieux de l’administration, par M. Rodolphe Dareste, 1862.