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par un autre anniversaire qu’on a décidé de célébrer, — celui du 22 septembre 1792, — de la proclamation de la première république. On a cru peut-être compléter le 14 juillet ; mais ce n’est plus la même chose. Le 14 juillet, c’est encore l’aube éclatante de la révolution française ; le 22 septembre suit le 2 et le 3 septembre, le 10 août, le 20 juin, toutes ces journées lugubres qui ont précipité et assombri la révolution. On aura beau faire, on n’enflammera pas avec ces souvenirs l’imagination populaire, on ne fera pas des fêtes nationales avec ces anniversaires sanglans qui ne sont plus que des évocations surannées ou sinistres. La vérité est qu’on est devenu sceptique pour toutes ces exhumations d’un archaïsme révolutionnaire, parce qu’on sent qu’elles ne répondent plus à rien dans une situation où tout est changé, où la France d’aujourd’hui n’est plus la France d’autrefois, où la république elle-même, si elle veut durer, doit vivre non de fêtes et de feux d’artifice, mais de bonne politique et de bon gouvernement.

Qu’est-ce qu’on demande en effet aujourd’hui à la république ? On ne lui demande pas apparemment de recommencer le passé, de se rattacher par des réminiscences factices et des fêtes de convention à des dates qui ne sont plus que de l’histoire. Ce qu’on lui demande, c’est de s’inspirer d’un temps nouveau, de s’adapter aux mœurs, aux traditions, aux intérêts, à l’esprit libéral, aux instincts d’ordre de la France nouvelle. Ce qu’on lui demande, c’est d’être un régime sensé, régulier, largement organisé, où assemblées et gouvernement remplissent leur rôle, exercent leurs droits, pour concourir ensemble, sans confusion, sans tomber à tout instant dans une stérile anarchie, à l’administration du pays. Il faut bien l’avouer, c’est ce qui a manqué le plus jusqu’ici ; c’est ce qu’on n’a pu obtenir ; et on en a eu un nouvel exemple par cette crise imprévue qui a éclaté à la veille même de ce dernier 14 juillet, — qui n’a emporté que M. le ministre de la marine, mais qui aurait pu aussi bien emporter le ministère tout entier. Et de quoi s’agissait-il ? C’est un fait tristement vrai et frappant : depuis que la France est plus vivement engagée dans ce qu’on appelle la politique coloniale, il y a eu bien des méprises, des imprévoyances, des dissimulations mal calculées, des erreurs de direction ou d’exécution et, par suite, bien des mécomptes. Il est certain que la situation du Tonkin n’est rien moins qu’assurée, qu’elle se ressent d’un commandement mal défini, toujours flottant, et qu’à tout moment surgissent des incidens qui démontrent ce que notre domination a de précaire. D’un autre côté, en ce moment même, à l’ouest de l’Afrique, dans le golfe de Bénin, la France est réduite à avoir raison d’un petit souverain nègre, le roi de Dahomey, Behanzin, qui nous cerne dans nos possessions de Kotonou, de Porto-Novo. C’est sans doute un état un peu pénible pour un grand pays, et la difficulté est moins d’en finir que de savoir comment on en finira. L’Angleterre a eu récemment affaire à un de ces petits rois nègres d’Afrique et elle